Bien que « créateur-en-vue-derrière-ses-lunettes-noires », Mathias Kiss préfère de loin le franc-parler au ridicule d’une communication contrôlée. Il est suffisamment singulier pour ne pas avoir à s’encombrer d’un autre personnage. L’homme, dissimulant un corps d’athlète sous la blouse blanche du travailleur, est le premier à rire des fantasmes suscités par son look de « médecin de campagne ». Dandy branché, lui ? Les séances photo ne sont pas forcément sa tasse de thé. Spectaculaire, son travail parle pour lui.
Dans son bureau parisien du Marais, l’épaisse corniche dorée à la feuille qui relie les murs verts au plafond assorti a quitté son sillon habituel. Elle diffuse une impression de décor de film expressionniste. Un signe ? « Cette corniche n’est ni une architecture ni de la dorure pour la dorure. Je l’ai mise ici, dans ma grotte, parce que cela avait du sens pour moi. Je milite pour la création avec mes armes, qui sont artisanales. » Son travail consiste souvent à transformer des éléments ou des matériaux de l’architecture classique pour en faire des installations. Parallèlement, dans l’industrie du luxe, son nom claque aux oreilles des décideurs lorsqu’ils consultent la liste de ceux qui savent mettre le feu à l’image du secteur.
Son univers est protéiforme. Les Anglo-Saxons le qualifieraient de designer et ce serait réglé, mais à mesure qu’il se raconte, un autre profil se dessine. « À 14 ans, je suis entré chez les compagnons… », commence-t- il. Il ne les quittera que vers la trentaine. Cet instinctif éclairé n’est pas pour autant devenu un esthète classique. Ses miroirs SANS90DEGRÉS (l’installation du même nom était présentée par la galeriste Armel Soyer en 2012 et comportait une banquette, un miroir et un tapis) ne recherchent pas, selon lui, la beauté. Il en a juste multiplié les angles, comme un performeur de la sculpture.
Son truc, c’est d’œuvrer à l’opposé de ce qu’il a appris chez les Compagnons. « Je ne suis jamais allé au lycée. Je n’ai jamais joué au flipper ou pris une menthe à l’eau », insiste-t-il. Éjecté du collège en quatrième, il est conduit par le système scolaire vers la peinture en bâtiment via le centre de formation d’apprentis. Et immergé pour longtemps dans « le monde du compas et de l’équerre où tout doit être à 90 degrés, et où, dès que vous avez une bonne idée, on va plutôt faire comme décidé sous Louis XIV. » Il se souvient de ces années comme de quelque chose « entre le clergé et l’armée ». Mathias Kiss a ainsi fait ses classes au Louvre, à la Comédie-Française, au palais Garnier et dans des ambassades. « Qui lâcherait le Louvre pour aller faire une pizzeria en crépi ? » Lui !