Ils étaient 3900 artistes-artisans, originaires de 124 pays et régions différents à postuler au Loewe Foundation Craft Prize 2024, prix récompensant la crème de l’artisanat à l’international. Après un premier écrémage, ils n’étaient plus que 30, triés sur le volet par un un comité d’experts. Leurs œuvres, témoins de la dextérité de chacun et de l’excellence du travail de la main, résultats de savoir-faire séculaires ou de techniques nouvelles, font l’objet jusqu’au 9 juin prochain d’une exposition événement au Palais de Tokyo, à Paris. Ce mardi 14 mai, le jury, composé de Jonathan Anderson, directeur créatif de Loewe, mais aussi de Patricia Urquiola ou encore d’Olivier Gabet, directeur du département d’art du Musée du Louvre, s’y est réuni afin de dévoiler son palmarès. IDEAT était présent, et voici les finalistes qui ont le plus marqué la rédaction.
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Miki Asai, l’art taille Polly Pocket
En regardant des photos des œuvres de Miki Asai, impossible de se rendre compte de la minutie de son travail. Car non, il ne s’agit pas d’amphores et de grands vases, mais bien de récipients miniatures, montés pour former des bagues sculpturales qui fascinent par leurs détails. « Déjà, enfant, je fabriquais des accessoires pour mes poupées et, surtout, je collectionnais les petites choses que je trouvais dans la rue : une mini pierre d’une couleur que j’appréciais, un bouton… Cela me rendait si heureuse ! J’ai toujours aimé les objets de taille réduite, car ils condensent toute leur beauté. » Après des études de métallurgie à l’Université des Arts de Musashino puis de joaillerie à l’École d’Art de Glasgow, elle se lance dans la conception de bijoux qui subliment le quotidien.
Trompeurs, les réceptacles des modèles présentés sont en réalités conçu à partir de papier, sur laquelle la Japonaise de 36 ans agence des micro fragments de coquilles d’œuf ou encore de coquillages irisés broyés, donnant cette illusion de glaçage craquelé. Quant aux socles, ils sont en bois creusé puis traités, le tout garantissant la légèreté de ces pièces censées tout de même être portées. Pas étonnant qu’elle ait remporté l’une des trois mentions spéciales du jury.
Heechan kim, le sublime caché
L’œuvre de Heechan Kim a elle aussi remporté une mention spéciale du jury. Il faut dire que cette pièce interpelle. Auriez-vous deviné qu’il s’agit de bandes de frêne rabotées, poncées puis assemblées, comme cousues, à l’aide d’un fil de cuivre fin ? Le Coréen, actuellement professeur de design produit et de la sculpture au sein de la Parsons School of Design et du City College de New York, s’approprie des savoir-faire traditionnels, le pliage du bois utilisés dans la construction de canoës, mais également la vannerie, le travail du métal, du cuir et du bois, afin de donner vie à des formes nouvelles.
« Cette pièce combine les différentes techniques que j’ai apprises pendant mes études. J’ai toujours été impressionné par la manière dont l’être humain a pris le contrôle de la matière, l’a domptée afin d’en fabriquer des objets fonctionnels. Pour ma part, je veux laisser s’exprimer le matériau, qu’il prenne lui-même des décisions en termes de formes. Lorsque j’ai immigré aux États-Unis avec ma famille, j’avais la vingtaine et ne parlais pas du tout la langue. J’étais très frustré de ne pas pouvoir communiquer donc je laissais mon travail le faire à ma place. » L’envers de #16 est encore plus impressionnant, rendant davantage compréhensibles les points de sutures indispensables à son maintien.
Ange Dakouo, l’art protecteur
« Je n’ai pas choisi de devenir artiste, confie Ange Dakouo. J’ai suivie des études « sérieuses », obtenu un DUT en marketing et un Master en droit des affaires et je préparais en parallèle le concours d’entrée au Conservatoire des Arts de Bamako, au Mali. À la fin de ma deuxième année, j’ai postulé pour participer à une résidence artistique. J’ai passé un mois avec une vingtaine d’artistes. Si j’avais toujours eu la volonté d’apprendre à dessiner et à peindre pour le plaisir, cette expérience, cette liberté d’expression, m’a donné goût à cette vie. Je ressentais le besoin de parler des maux de la société. »
Dès 2017, il réalise des porte-bonheur qu’il colle ensuite sur ses toiles. Puis, la découverte, en 2018 à la Biennale de Dakar, du travail de l’artiste El Anatsui, le « court-circuite. Il réalise des œuvres monumentales grâce à des capsules de bouteilles qu’il tissent ensemble. J’ai donc décidé d’assembler ainsi tous les gris-gris que j’avais fabriqués. Chaque particule représente un individu et le besoin de se protéger les uns les autres. » Une sorte de bouclier onirique qui protégerait notre société.
Emmanuel Boos, la fragilité dans l’âme
Cette table basse en céramique passerait presque inaperçue. C’est en écoutant Emmanuel Boos révéler ses secrets que l’on se retrouve absorbé. Sa pièce baptisée Comme un Lego est en effet constituée de 98 briques de céramique creuses. Rien n’est collé : les blocs troués à deux endroits, tiennent ensemble grâce à des chevilles, et peuvent donc changer de place à l’envie. D’où son nom, à la fois inspiré du jouet danois et de la chanson éponyme d’Alain Bashung, très poétique : « Quelqu’un a inventé ce jeu / Terrible, cruel, captivant / Les maisons, les lacs, les continents / Comme un lego avec du vent« .
Un art à la rencontre du design modulable qui a plu au jury au point de lui attribuer une exceptionnelle troisième mention spéciale. « Cette œuvre représente pour moi le manque d’attention que nous pouvons porter aux objets qui nous entourent, affirme Patricia Urquiola. On pense qu’une table, par exemple, parce qu’elle est fonctionnelle, doit être avant tout pratique, et on oublie que l’artisanat peut insuffler beaucoup d’émotions à ces objets. En découvrant Comme un Lego, j’ai ressenti toute la fragilité et la vulnérabilité de ce céramiste français. »
Andrés Anza, la nature à l’œuvre
« Au début, je trouvais cette œuvre difficile à comprendre, avoue Olivier Gabet, directeur du département d’art du Musée du Louvre, avant d’entendre Magdalene Odundo, très grande céramiste britannique d’origine kényane, la défendre. C’est également la vertu de ce jury, qui favorise les discussions entre des membres aux horizons très différents. Il ne faut pas non plus oublier l’impact du Loewe Foundation Craft Prize : accorder le prix à Andrés Anza, c’est reconnaître, évidemment, son talent, mais également une scène mexicaine en plein développement. Cette récompense peut changer la vie des candidats, contribuer à modifier la perception que l’on a du travail d’une personne et de la scène artistique dans laquelle il déploie. »
Ce totem en céramique entièrement réalisé, bien entendu, à la main, aux formes organiques et recouvert de picots, se heurte de plein fouet à une évolution des techniques grâce à la technologie comme à l’impression 3D, que les céramistes expérimentent plus que jamais pour réaliser des formes impossibles. « Cette pièce, monumentale, intemporelle, est également une réflexion sur la production et la création même de ces œuvres d’art. » L’artiste originaire de Monterrey, au Mexique, se hisse ainsi sur la plus haute marche du podium. Un distinction qui s’accompagne, en plus de ce rayonnement non négligeable, d’une généreuse dotation de 50 000€.
> Exposition « A Celebration of Craft, Loewe Foundation Craft Prize 2024 » jusqu’au 9 juin 2024 au Palais de Tokyo, situé au 13 avenue du Président Wilson, dans le 16e arrondissement de Paris.
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