Pourquoi YellowKorner et le Photo Folio Review ?
Mon métier est de trouver de jeunes photographes prometteurs. Ils représentent aujourd’hui près de 80 % de notre catalogue. Quand je suis allé frapper à la porte des Rencontres d’Arles, que je visitais et appréciais déjà, leur nouveau directeur, Sam Stourdzé, m’a proposé de participer à la mission de Photo Folio Review, c’est-à-dire à la lecture de plus de 400 portfolios pour trouver les talents de demain, avec, à la clé, une exposition monographique offerte au lauréat dans le parcours officiel. Depuis l’année dernière, YellowKorner finance donc ces lectures, apporte une aide logistique et sa vision marchande pour l’édition du livre du lauréat et sa commercialisation. C’est un travail très prenant.
D’où vient votre passion pour la photo ?
J’ai grandi à la campagne. Il y avait un petit labo à la maison. À 12 ans, je photographiais des paysages, en noir et blanc, et les habitants du coin. Mais je n’ai pas souhaité me professionnaliser. J’ai donc finalement opté pour le droit, qui m’a ennuyé, puis pour le Centre d’entrepreneuriat de HEC, où j’ai rencontré mon associé, Paul-Antoine Briat, avec qui j’ai fondé YellowKorner en 2006. En parallèle, je travaillais pour ma deuxième passion, la musique classique, avec René Martin, le fondateur et directeur de la Folle Journée de Nantes : nous organisions des concerts accessibles, dans des lieux tout aussi accessibles. Cette initiative démocratique, au même titre que les modèles industriels de Taschen et Swatch, nous a influencés pour construire le nôtre : un label synonyme de qualité abordable, à l’image de Deutsche Grammophon, dont la charte graphique (un rectangle jaune) nous a inspiré le nom YellowKorner. Chez nous, les œuvres sont d’ailleurs rangées comme des disques. Dans une autre vie, j’aurais sans doute travaillé dans la musique.
Que représente YellowKorner aujourd’hui ?
YellowKorner, c’est déjà 90 galeries dans le monde et 20 autres à venir. On vient d’en ouvrir de nouvelles à Tokyo, à Bangkok et à Strasbourg. Notre client type est trentenaire, en couple et appartient aux CSP+. Il souhaite une « rencontre culturelle » avec une œuvre, mais n’a pas les moyens d’en acheter dans les foires et les grandes galeries. Le panier moyen des acheteurs est de 180 euros. Nos images coûtent de 50 à plus de 3 000 euros (alors limitées à 30 exemplaires numérotés et signés) afin de pouvoir rémunérer correctement les auteurs. De grands collectionneurs achètent des tirages dans notre espace, à La Hune, pour leurs intérieurs. Les adolescents s’intéressent aussi de près à notre activité, alors même qu’ils consomment des images dématérialisées au quotidien. Comme pour les marchés du cinéma et de la musique, la clientèle dépend des zones géographiques. En Asie, la sensibilité va au genre du paysage alors que le Japon a une culture du portrait proche de celle de l’Occident. Lorsque nous avons un visuel performant, c’est comme un blockbuster au cinéma. Ce fut le cas de celui de la nonne embrassant le prêtre [intitulé Kissing-nun (1992), NDLR], d’Oliviero Toscani, que nous avons exposé à La Hune, en mars 2016. Notre site Internet nous permet par ailleurs de toucher des territoires où nous n’avons pas d’espace et, au client, de commander une photo pour la retirer en galerie, tout en profitant d’un contenu exclusif constitué d’interviews, de vidéos, etc. À terme, Yellowkorner.fr représentera 30 % de notre chiffre d’affaires.
Comment votre offre s’est-elle constituée ?
Il a fallu nous frayer une place dans le monde de la photographie. Nous étions vus comme des trublions, et ce n’est pas terminé. Yann Arthus-Bertrand fut le premier à accepter d’être édité par nos soins. Certains nous ont ensuite rejoints : David Hamilton, Frank Horvat… Les jeunes photographes répondent aussi présents et ne craignent plus d’être « catalogués » YellowKorner. Formento & Formento nous ont ainsi fait confiance très tôt et sont aujourd’hui reconnus dans la mode et sur le marché de l’art (et représentés par la Fahey/Klein Gallery aux États-Unis, NDLR). Lee Jeffries, connu pour ses clichés de sans-abri, était auparavant comptable dans une société. Il ne pensait pas devenir professionnel un jour : il travaille aujourd’hui avec JR, Terrence Malick et signera la pochette du prochain album de Nick Cave. On veut rester simple dans notre offre. Nous sommes encore une jeune marque et notre catalogue doit être sans ambiguïté. Il doit offrir un plaisir visuel immédiat car nous sommes sur la première marche d’accès à la photo. Il nous faudra encore du temps pour présenter de la photographie conceptuelle… L’accent est plutôt mis sur notre exigence pour des tirages que l’on souhaite irréprochables. Nous travaillons pour ce faire avec le laboratoire Zeinberg, dont le directeur a collaboré avec Willy Ronis ou Sebastião Salgado.
Pourquoi avoir choisi La Hune comme espace d’exposition et librairie d’art ?
Le rachat de cette librairie mythique de Saint-Germain-des-Prés (1949-2015) s’est fait de façon imprévisible. À la suite de la création de YellowKorner Éditions (de beaux livres photo édités en partenariat avec Flammarion, les Éditions de La Martinière ou teNeues), nous avions réalisé un ouvrage en édition limitée sur l’histoire de Blue Note Records par son fondateur, le producteur de jazz américain et photographe Francis Wolff. Quand Flammarion m’a contacté pour créer une version économique de ce livre collector, le Groupe Madrigall (Flammarion, Gallimard, Casterman…) voulait vendre La Hune. Nous nous sommes alors portés acquéreurs. La Hune nous permet d’être plus sélectifs dans nos expositions. Nous avons inauguré le lieu avec un accrochage d’Elliott Erwitt. Prochainement, nous y montrerons une importante série de Nobuyoshi Araki : « Sentimental Journey », des photographies de sa femme.