Livres : Le photobook, une galerie d’art à lui seul

Le livre photo s’est hissé au rang de plateforme d’exposition à part entière. Il offre aujourd’hui pour les artistes en général et pour les photographes en particulier la possibilité de créer une œuvre singulière. Des éditeurs, libraires et festivals français en repoussent chaque année les limites.

Avec ses 900 reproductions de documents et images compilées, Mot à mot, de Daniel Buren, fit date à sa sortie en 2002. Cet ouvrage conceptuel, publié à l’occasion de la rétrospective du plasticien au Centre Pompidou et accompagné d’un texte du sociologue Pierre Bourdieu, est un titre clé des Éditions Xavier Barral, puisqu’il a littéralement lancé la maison. « Nous sommes éditeur de livres de photographie et d’art contemporain. Nous les concevons tous sur mesure », explique Yseult Chehata, une membre de l’équipe. Connues aussi pour leurs publications transversales, associant art et science – l’autre passion de leur fondateur, graphiste et grand voyageur (qui s’est éteint cette année, NDLR) –, les Éditions Xavier Barral n’ont pas leur pareil pour produire des livres-objets.

La Fabrique des idoles, de Pierre et Gilles, 2019, aux Éditions Xavier Barral.
La Fabrique des idoles, de Pierre et Gilles, 2019, aux Éditions Xavier Barral. © EDITIONS XAVIER BARRAL

« Nous partons de zéro à chaque fois, poursuit Yseult Chehata. On pense tout avec l’artiste, du format à la typographie, du papier à l’encre, jusqu’à l’imprimeur, que nous choisissons avec lui. Le texte, que nous confions à des auteurs, représente aussi une part importante dans cette production. » Le résultat est un catalogue de signatures prestigieuses comme Raymond Depardon ou le photojournaliste chilien Sergio Larrain, dont la première monographie fut rééditée trois fois avant d’être épuisée. Collaborant d’autre part avec des institutions, à l’instar de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, l’éditeur participe à Paris Photo (7-10 novembre) et aux salons de livres d’art tels qu’Off Print, soutenu par la Fondation Luma.

In Dreams, Scenes from the Archive, de Dennis Hopper, 2019.
In Dreams, Scenes from the Archive, de Dennis Hopper, 2019. © Dennis Hopper / Courtesy The Hopper Art Trust

Un regard sur le monde

À Arles, les Rencontres de la photographie se font justement l’écho de ce type d’édition avec les prix du livre (mention spéciale en 2019 pour Parce que… de Sophie Calle, aux Éditions Xavier Barral) et les Luma Rencontres Dummy Book Award, un prix d’aide à la publication d’une maquette, lancé en 2015. Associé depuis à l’événement, Cosmos-Arles Books réunit plus de 80 éditeurs internationaux. Ses fondateurs, l’Arlésien Olivier Cablat et l’Allemand Sebastian Hau, sont respectivement artiste et libraire. « Le “photobook” – un anglicisme qui semble être utilisé comme terme marketing dans l’Hexagone et qui fut notamment popularisé par des fanzines comme Toiletpaper, de Maurizio Cattelan – est très naturellement devenu un médium d’expérimentation pour les artistes. Le Japon d’après-guerre a été le fer de lance du genre avec Daido Moriyama, qui a préféré élaborer des magazines et des livres de manière totalement indépendante plutôt qu’organiser des expositions », résume Sebastian Hau.

Hassan Hajjaj, 2019. Monographie du photographe anglo-marocain, conçue par les éditions RVB Books, pour sa rétrospective à la Maison européenne de la photographie.
Hassan Hajjaj, 2019. Monographie du photographe anglo-marocain, conçue par les éditions RVB Books, pour sa rétrospective à la Maison européenne de la photographie. DR

Avec le photographe Laurent Chardon, celui-ci est l’initiateur de Polycopies, une foire d’une soixantaine d’exposants venus du monde entier favorisant les échanges entre professionnels et passionnés. Elle se déroule sur les bords de Seine, sur le bateau Concorde Atlantique, à deux pas du Grand Palais, pendant Paris Photo. « Un éditeur est quelqu’un qui ouvre notre regard sur le monde, explique encore Sebastian Hau. Le photobook, avec son format souvent nomade, est très pertinent dans nos modes de vie enclins au changement permanent. Il permet de voir la photo chez soi et de voyager par l’intermédiaire de son créateur. C’est un contre-modèle sur le marché de l’art actuel qui s’enflamme. »

À gauche, Mot à mot, de Daniel Buren, est le premier livre-objet édité par Xavier Barral en 2002. À droite, L’Inventaire infini – Sébastien Lifshitz 2019, de Sébastien Lifshitz et Isabelle Bonnet, présente 300 photos issues de la collection du cinéaste.
À gauche, Mot à mot, de Daniel Buren, est le premier livre-objet édité par Xavier Barral en 2002. À droite, L’Inventaire infini – Sébastien Lifshitz 2019, de Sébastien Lifshitz et Isabelle Bonnet, présente 300 photos issues de la collection du cinéaste. DR

Des salons de livres-objets

Dans un contexte économique où le métier de libraire d’art est devenu un acte de résistance, le parcours PhotoSaintGermain met le photobook au premier plan. « Dès notre première édition, nous avions organisé un débat sur le livre en tant que surface d’exposition, rappelle Virginie Huet, codirectrice de l’événement avec Aurélia Marcadier. Depuis, nous valorisons cette activité au même titre que celle des galeries, musées et centres culturels. » Pour leur itinéraire parisien rive gauche, réunissant une sélection des acteurs du secteur autour d’une programmation consacrée à la photographie, le duo a cette année invité des artistes, comme l’écrivaine et photographe Valérie Mréjen, à investir quatre boîtes de bouquinistes sur les quais parisiens.

The Others – Olivier Culmann, de Christian Caujolle, François Cheval et Christopher Pinney, aux Éditions Xavier Barral (trois couvertures au choix).
The Others – Olivier Culmann, de Christian Caujolle, François Cheval et Christopher Pinney, aux Éditions Xavier Barral (trois couvertures au choix). DR

« Le monde de la photo est un circuit fermé où il faut toujours se renouveler, confie Virginie Huet. Rolling Paper, le festival expérimental consacré à l’édition photographique indépendante du Bal Books, la librairie de l’espace culturel parisien Le Bal, est d’ailleurs le baromètre de ce qui se fait de mieux dans le genre. Le Bal est un lieu d’exposition vraiment visionnaire qui a participé au renouveau du livre photo en France. » Une telle prolifération des œuvres sur ce support ne s’explique donc pas simplement par l’indépendance que le médium procure.

A gauche, Cas Oorthuys, de Cas Oorthuys et Frits Gierstberg (textes), aux Éditions Xavier Barral. A droite, Mumkin – Est-ce possible ?, 2017, de Bieke Depoorter et Ruth Vanderwalle, aux Éditions Xavier Barral.
A gauche, Cas Oorthuys, de Cas Oorthuys et Frits Gierstberg (textes), aux Éditions Xavier Barral. A droite, Mumkin – Est-ce possible ?, 2017, de Bieke Depoorter et Ruth Vanderwalle, aux Éditions Xavier Barral. DR

Repousser les limites du papier

C’est en tant qu’objet d’art que le photobook séduit à la fois les auteurs et le public, « particulièrement depuis que Martin Parr et Gerry Badger ont sorti trois volumes de référence sur le sujet (The Photobook: A History), commente Émilie Lauriola, responsable de Bal Books. L’accès facilité aux techniques de production de tels objets a également changé la donne, tout comme la visibilité qu’offre Internet. Les photographes ont la possibilité d’autoéditer leurs ouvrages sans dépendre de l’approbation d’un grand éditeur, et un nombre exponentiel de nouvelles maisons d’édition proposent des livres qui sortent des sentiers battus. »

Arthur Elgort, I Love…, d’Arthur Elgort, 2019, éditions Damiani.
Arthur Elgort, I Love…, d’Arthur Elgort, 2019, éditions Damiani. © DAMIANI

RVB Books, à la fois maison d’édition et lieu d’exposition, est un bon exemple de ces éditeurs du photobook. « Notre projet est né a contrario de la prédominance de la photo documentaire, analyse Rémi Faucheux, son cofondateur avec Matthieu Charon. Notre engagement nous incite à repousser les limites du papier. Nous pouvons ainsi proposer un livre en accordéon de neuf mètres de long signé Penelope Umbrico, ou un tirage de 30 000 exemplaires, conçu pour un public qui va au-delà du cercle des amateurs de photographie, comme ce fut le cas de la monographie Hassan Hajjaj, réalisée pour la Maison européenne de la photographie. Il y a vingt ans, un photographe existait par son parcours en galerie. Aujourd’hui, il peut émerger par le livre et l’éditeur est partie prenante de son essor. »

Un visuel du numéro 18 de la revue Toiletpaper de Pierpaolo Ferrari (éditions Damiani, 2019).
Un visuel du numéro 18 de la revue Toiletpaper de Pierpaolo Ferrari (éditions Damiani, 2019). DR

À voir

> Off Print, à l’École national supérieure des beaux-arts de Paris, du 7 au 10 novembre.
> Polycopies, sur le bateau Concorde Atlantique, sur les berges de Seine, port de Solférino, 75007 Paris, du 6 au 10 novembre.
> PhotoSaintGermain, parcours à Saint-Germain-des-Prés, Paris (VIe), du 6 au 23 novembre.
> Cosmos-Arles Books aux Rencontres d’Arles, première semaine de juillet 2020.
> Rolling Paper au BAL, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, fin août, début septembre 2020.

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