Il aura fallu moins d’un an pour que ce lieu emblématique de la nuit parisienne s’inscrive à nouveau dans le goût de l’époque, sans pour autant perdre son âme. Dix mois, quelques millions et un duo de choc aux commandes, il n’en fallait pas moins pour relever le défi d’une réouverture parmi les plus attendues de l’année : celle du Lido 2 Paris, un authentique bijou Art Déco, dont la salle n’avait pas été restaurée depuis 1976, et qui méritait plus que jamais un sacré coup de polish. Un projet ambitieux, pour lequel Jean-Luc Choplin, son directeur général et artistique, se devait de réunir autour de la table de véritables pointures du design et de l’architecture, Alexis Mabille et Philippe Pumain.
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Du Lido au Lido 2 Paris
Client régulier du Bœuf sur le toit, restaurant mythique récemment relifté, Jean-Luc Choplin a jeté son dévolu sur le fringuant Alexis Mabille, à la tête de l’agence Beau Bow, qui en a signé la nouvelle décoration. Aux côtés de l’architecte Philippe Pumain, le célèbre créateur de mode aura brillamment relevé le défi, avec en sous-main quelques coups d’avance : « J’ai rencontré Jean-Luc à l’occasion d’un défilé que j’avais organisé au Châtelet, confie-t-il. Il voulait refaire briller ce cœur battant de Paris, avec un décorateur qui comprenne la fantaisie, le monde du spectacle et qui puisse aborder cela comme un client. Je cochais toutes les cases. Chez Beau Bow, nous savons comment magnifier des lieux difficiles ».
Difficile, le mot est faible. Afin de moderniser un lieu devenu délicieusement kitsch, Alexis Mabille aura eu carte blanche et une équation des plus complexes à résoudre : « Le Lido 2 Paris, c’est à la fois du cabaret, du Broadway parisien avec une programmation à mi-chemin entre le théâtre et l’immersif, et ce grand salon où l’on souhaitait que les spectateurs se sentent chez eux », poursuit-il.
Mettre de l’émotion dans la matière
Au programme, bien plus qu’une débauche de luxe, mais la volonté de faire cohabiter le faste de l’ancien et l’ultra-contemporain, sans jamais tomber dans le pastiche. « Philippe Pumain et moi avons travaillé main dans la main, de façon très douce, afin que nos différents univers se correspondent. On pénètre dans ce lieu via un grand couloir où défilent des vidéos sur écran, avant d’entrer véritablement dans l’institution. De bout en bout, on fait soi-même partie du spectacle. »
Entrechoquer les époques, avec de malicieux clins d’œil aux origines du lieu, qui tient son nom de Venise et comptait autrefois parmi les hauts lieux de balnéo : telle était la ligne de conduite tracée par Jean-Luc Choplin. « A travers ce jeu de miroirs, ce laiton, ces mosaïques, ce marbre, on retrouve cet univers aquatique qui a fait le succès de l’endroit, analyse Alexis Mabille. Nous avons voulu mettre de l’émotion dans la matière et j’aime l’idée de semer le trouble entre passé et présent. L’idée reste d’emballer les gens dans une sensation de luxe, de chaleur, de créer un effet whaou, sans pour autant se croire à Disneyland ! ».
La rencontre de Gotham City et du Bauhaus
Et c’est bien cet équilibre subtil que l’on retrouve dans chaque recoin du théâtre, dont la salle et le grand salon, ici élevés au rang de véritables chefs d’œuvres. De ce théâtre à l’antique où l’on venait autrefois davantage pour dîner que pour assister au spectacle, le designer a conservé les « mécaniques géniales », en y ajoutant de grandes banquettes autour de la scène, afin de créer un sentiment d’immersion totale.
« Ce travail de structure a été très long, car il était indispensable que chaque place devienne une bonne place. Tout l’axe décoratif repose sur l’assise et l’éclairage, grâce à un jeu de spots très léger évoquant un ciel étoilé, des murs de velours noir dégoulinant de paillettes, des moquettes uniques inspirées des artistes des années 20, aux motifs de plumes d’autruche rouges et noires, des sièges en plaquages de chêne inspirés du Bauhaus, et enfin un immense dôme de cristal ».
Un théâtre à ciel ouvert et un terrain de jeu on ne peut plus ludique, pour les metteurs en scène comme pour la régie, que l’on peut apercevoir depuis le bar, créant une atmosphère de salle de concert. Afin de réenchanter l’avant et l’après-spectacle ainsi que les entractes, la salle de réception s’est entièrement revêtue de miroirs et mosaïques, et y trônent désormais deux superbes fontaines dont les jets dorés semblent couler par eux-mêmes, « avec un léger twist de boîte de nuit, une belle lumière, et quelque chose de très chaleureux ».
Celui qui affirme avoir « toujours eu le goût du glamour, de la fantaisie, de l’irrévérencieux et du frivole » se réjouit d’avoir pu accoucher d’un lieu qui lui ressemble, incarné, mais piqué de sublimes anachronismes, qui témoignent d’un goût certain pour le grinçant. « C’est la rencontre de Gotham City et du Bauhaus », reconnaît-il en riant. « Il y a eu un formidable travail en amont, du côté des artisans comme de la technique. Je ne voulais pas de choses existantes, ce qui est au Lido appartient au Lido ». Tout comme le geste d’un danseur maintes fois répété, se dégage de l’ensemble une étonnante simplicité, et l’on se sent inexplicablement à son aise dans ce lieu unique au monde, où « il faut vouloir passer du temps, comme autrefois, mais sans passéisme ».
> Le Lido 2 Paris, 116 Av. des Champs-Élysées, 75008 Paris. Site internet.