En 1974, Enzo Mari révolutionne le monde du design avec Autoprogettazione, un projet exposé pour la première fois à la Galleria Milano. Il y présente, puis réunit sous la forme d’un livre, une série de plans constructifs de meubles beaux, ergonomiques… et facilement réalisables par des particuliers.
Influencé par les théories marxistes, le designer souhaite alors démocratiser la création de mobilier en tissant des liens directs entre créateurs et consommateurs, sans passer par le secteur de la distribution. Impliqué dans la fabrication, l’usager retrouve ainsi un pouvoir de conception, autrefois accaparé par l’industrie.
A un prix minimum et avec peu d’outils, chacun peut alors s’approprier ses plans pour réaliser des tables, des chaises, un lit ou une bibliothèque. Facilement personnalisable grâce à la simplicité du système conçu par Enzo Mari, chaque pièce vise à développer chez l’utilisateur un regard critique vis-à-vis de l’industrie, à défaut de pouvoir réellement la concurrencer.
« J’ai pensé que si les gens étaient encouragés à construire de leur main une table, ils étaient alors à même de comprendre la pensée cachée derrière celle-ci. » Enzo Mari
Un sens critique primordial dont le créateur déplore aujourd’hui la disparition dans une interview pour le Corriere Della Sera réalisée conjointement par le célèbre historien, critique d’art et commissaire d’exposition Hans-Ulrich Obrist et le journaliste et architecte Stefano Boeri.
Interrogé sur l’avenir des archives, dessins et prototypes de ses œuvres après sa mort, Enzo Mari répond vouloir les léguer à la ville de Milan à condition que le tout soit scellée pendant les 40 prochaines années ! En effet, l’idée d’un musée, à l’image du Studio Castiglioni, lui fait horreur de peur « d’évaluations philosophiques incorrectes » à l’égard de ses pièces ou d’une mise en scène « vulgaire ».
Ces 40 années correspondent selon lui au délai nécessaire pour qu’une nouvelle génération comprenne et s’approprie le « sens profond » de son design en s’éloignant d’une superficielle « frénésie d’inventer », caractéristique du design contemporain selon Stefano Boeri.
« L’erreur d’aujourd’hui consiste à imiter sans comprendre. » Enzo Mari
Le designer né en 1932 insiste alors sur la valeur trop souvent oubliée du travail de conception. Aussi important que l’œuvre achevée, il doit permettre, grâce à l’étude des « matériaux, de leur poids, de leur couleur et de leurs performances » de concevoir des pièces à la dimension éthique prononcée, conçues dans l’intérêt de tous.
Précurseur du design « do it yourself » et de l’open-source appliqué au mobilier, Enzo Mari, inquiet d’une prédominance de la forme sur le fond, préfère désormais protéger ses archives. Un revirement de situation des plus surprenants de la part de celui qui, en novembre dernier, autorisait encore l’association CUCULA à vendre des pièces réalisées selon ses plans au profit des migrants réfugiés à Berlin.