Conçues pour répondre à l’urgence de la reconstruction après-guerre, ces écoles incarnent une vision avant-gardiste qui conjugue ingénierie, économie de moyens et de matériaux. Longtemps menacée de destruction, l’école de Kerglaw a récemment été identifiée comme une réalisation des Ateliers de Jean Prouvé. Elle s’inscrit dans une série d’académies standards à coques conçues entre 1951 et 1954, des bâtiments modulaires pensés pour être montés rapidement tout en assurant durabilité, fonctionnalité et esthétisme. À l’opposé, l’école de Vantoux, prototype conçu comme une expérimentation architecturale, s’est transformée en galerie d’art. Ces deux réalisations rappellent toute la modernité et la pertinence du designer et architecte, ingénieur de formation.
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Kerglaw : un trésor oublié
Livrée en 1953 dans le quartier ouvrier de la commune d’Inzinzac-Lochrist dans le Morbihan, le groupe scolaire de Kerglaw est l’une des rares réalisations issues des Ateliers Prouvé encore en activité. Longtemps attribuée à Charles Perrin, un architecte local, cette école standard « à coques » est sortie de l’oubli grâce aux recherches de David Perreau, historien d’art et commissaire d’exposition, qui a exhumé des archives confirmant le rôle déterminant de Jean Prouvé dans sa conception.
Un récit d’autant plus intrigant que l’historien Peter Sulzer, spécialiste de Jean Prouvé, pensait qu’elle avait été détruite. Composée à l’origine de six classes, d’un double préau et d’un bâtiment maçonné abritant les logements des enseignants, cette école met en avant l’exemplarité des systèmes préfabriqués en aluminium et acier développés par Jean Prouvé. Ces structures modulables, légères et facilement transportables, permettaient de monter une salle de classe en seulement 15 jours, une prouesse technique pour l’époque.
Dotée de son mobilier d’origine – pupitres, bureaux et bahuts conçus dans les Ateliers Prouvé – et d’un agencement pensé pour fluidifier la circulation, l’école se démarque par sa fonctionnalité et la qualité de ses espaces. Les larges ouvertures, associées à de hauts plafonds et à une orientation optimale des classes, inondent les lieux d’une lumière naturelle qui reste, encore aujourd’hui, l’un de ses grands atouts. Enseignants et élèves apprécient ce cadre lumineux et accueillant, à mille lieues des écoles plus récentes où dominent faux-plafonds et néons blafards, bien moins propices à l’épanouissement.
Miraculeusement sauvée de la destruction, l’école de Kerglaw fait aujourd’hui l’objet d’un programme de valorisation et de sensibilisation à l’architecture de Prouvé soutenu par la commune (visites, ateliers organisés par le CAUE 56…) . « Ce bâtiment raconte une histoire, celle de la reconstruction, et illustre l’importance de valoriser ces architectures souvent ignorées », rappelle David Perreau, qui se réjouit du chemin parcouru. Sous son impulsion, la commune d’Inzinzac-Lochrist a choisi de faire don de deux pupitres bi-place 850, emblématiques des salles de classe de l’époque, au Centre Georges Pompidou, un geste symbolique pour inscrire ce patrimoine dans une collection publique et protéger ces objets d’une spéculation grandissante sur le marché privé.
Dans la continuité de ce travail, le livre Ateliers Jean Prouvé : Groupe scolaire de Kerglaw, 1953 Inzinzac (Morbihan) sera publié au printemps et une exposition consacrée aux écoles de Jean Prouvé est en préparation à la Maison de l’Architecture des Pays de la Loire, à Nantes, en partenariat avec le Voyage à Nantes, l’Ecole nationale supérieure d’architecture, le cabinet IDM et le centre d’art contemporain Paradise.
Vantoux : quand l’art prolonge l’histoire de l’école
Construite en 1951 dans la campagne lorraine, l’école de Vantoux est l’un des deux prototypes d’écoles démontables, avec celle de Bouqueval. Ce bâtiment emblématique du style de Jean Prouvé, désormais classé monument historique, illustre aussi toute l’ingéniosité de son concepteur. Ses pieds compas en métal (support en forme de V inversé), véritable signature, assurent une légèreté structurelle inédite, tandis que ses hublots circulaires et ses larges baies vitrées baignent l’espace, de bois et d’acier, d’une agréable lumière naturelle.
Sous l’impulsion de Nathan Chicheportiche, 24 ans, cette ancienne école à classe unique se réinvente en lieu dédiée à l’art contemporain. Le jeune galeriste a su séduire la mairie avec sa proposition : « Ce qui a plu, c’est que mon projet ne fermait pas le bâtiment au public, mais l’ouvrait à une nouvelle vie culturelle tout en respectant son identité. » Son ambition affichée est de concevoir chaque exposition comme un dialogue. « Je réfléchis à la manière dont l’artiste peut créer une synergie avec le bâtiment, qui devient le socle de son travail. »
Pour la première exposition, avec Jean-Pierre Raynaud, le galeriste a notamment pu utiliser les fameux pupitres, propriété de la mairie, comme réceptacle des céramiques de l’artiste tandis que le choix des œuvres de Mircea Cantor, deuxième artiste exposé jusqu’au 31 janvier 2025, s’est volontairement porté sur son abécédaire et ses cartes réalisées à la cire de bougie qui rappellent celles accrochées dans les salles d’école. Barthélémy Toguo sera le prochain à immerger ses œuvres dans ce magnifique héritage architectural.
Les constructions Jean Prouvé : une modernité toujours actuelle
Les principes constructifs des écoles de Jean Prouvé résonnent fortement avec les enjeux contemporains de la construction durable. Pensées dans l’urgence, elles privilégiaient des matériaux robustes comme l’aluminium et l’acier, des systèmes préfabriqués produits en atelier pour limiter les déchets et des montages rapides réduisant l’empreinte des chantiers. Si certaines de ces écoles ont disparu, comme celle de Villejuif, dont les éléments ont été récupérés pour d’autres architectures, d’autres continuent de vivre sous des formes diverses.
L’école de Bouqueval, acquise par la galerie Patrick Seguin, a été restaurée en collaboration avec Jean Nouvel, et est désormais exposée dans des manifestations internationales, soulignant son importance patrimoniale. L’école maternelle Ferrieres à Martigues, monument historique depuis 2001, accueille toujours des élèves. Ces exemples, tout comme la « renaissance » de Kerglaw et la réinvention de Vantoux, montrent à quel point ces lieux sont porteurs d’une modernité intemporelle.
Jean Prouvé ne se contentait pas de concevoir des bâtiments fonctionnels. Il a redéfini les contours de l’architecture en y insufflant une approche profondément humaniste. « Il n’y a pas de différence entre la construction d’un meuble et d’une maison », aimait-il répéter, affirmant une philosophie où chaque détail compte.
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