Pour un architecte, s’attaquer au monde de la psychiatrie implique des questions inhabituelles car l’usager n’est pas une personne comme une autre. Comment concevoir un lieu à destination de patients mentalement en souffrance, ayant besoin d’un vaste espace vital pour se sentir en sécurité ? Les couloirs, ennuyeux pour le commun des mortels, deviennent anxiogènes pour le malade, à qui l’on doit, par ailleurs, éviter toute sensation d’enfermement. Autant dire que, dans ces conditions, si l’architecture ne peut soigner les maux, elle peut s’avérer décisive. C’est le défi qu’a brillamment relevé l’agence Richter architectes & associés avec ce centre psychothérapique à Metz.
L’agence s’est inspirée du « Moi-peau », concept psychanalytique développé par Didier Anzieu dans les années 70 et qui explique comment se construit le sentiment d’existence en redonnant toute sa place au corps. Ce projet au long cours aura mis huit ans à voir le jour, dans le contexte peu amène d’une zone d’activité en mutation permanente à l’entrée de la ville, entre des bureaux de facture médiocre et une station-service. Mais pas de quoi effrayer nos architectes, qui avouent être familiers des environnements peu engageants. Face à cette situation a priori défavorable, il suffisait en effet de regarder de plus près pour dénicher quelques qualités paysagères : un bois, un alignement d’arbres, la topographie du terrain… Ce dernier, en plus de constituer une opportunité foncière pour la ville, présentait en outre l’avantage d’être très bien desservi.
Une question préalable et lancinante a guidé les maîtres d’œuvre tout au long de la conception : « Comment offrir un lieu qui protège, qui permette de retrouver ses appuis pour se rouvrir au monde ? Comment construire une enveloppe permanente dans un contexte impermanent ? » s’est interrogée Pascale Richter, fondatrice de l’agence. Ouvert trois cent soixante-cinq jours par an, le lieu accueille des enfants et des adultes qui ne doivent jamais se croiser.
Autour d’un bloc de distribution central, les deux niveaux sont abrités dans une peau de verre et de béton pensée en trois dimensions, tutoyant le ciel et dotée d’une matérialité forte : « Un bâtiment qui semble émerger de la terre », résume l’architecte. Les espaces paysagers occupent une place fondamentale dans l’édifice, qui entretient un rapport narratif avec le paysage. Cinq jardins intérieurs largement plantés creusent ce volume conçu comme une succession de pleins et de vides. Ils agissent comme des filtres visuels entre les différentes salles de soin et de consultation du centre. À l’intérieur, les attentions spatiales portées au bien-être des patients se multiplient. Afin de compenser la rudesse de l’enveloppe en béton, le bois y est largement présent, tout comme les couleurs claires.
Comme pour tous les établissements financés par de l’argent public, 1 % du budget de construction du centre psychothérapique a été alloué à la création d’une œuvre originale. Dans ce cadre, les architectes ont travaillé avec Grégoire Hespel, dont la mission était de donner vie aux parois de béton vert teinté dans la masse. Ce n’est pas une première pour l’agence, qui fait systématiquement intervenir des artistes sur ses projets. Ils avaient découvert le travail du peintre à l’occasion d’un festival, des œuvres profondes et minérales qui les ont immédiatement convaincus d’envisager une collaboration.
Grégoire Hespel a littéralement attaqué le béton au Kärcher afin de lui donner une texture. Volontairement archaïque, ce traitement a permis de mettre au jour la nature intrinsèque de la matière fraîchement décoffrée, ses granulats et sa profondeur. Pour rendre l’opération possible, l’épaisseur des murs a été augmentée, renforçant l’idée de cocon protecteur. Le projet a reçu le prix de l’Équerre d’argent 2018, qui distingue chaque année un bâtiment et son commanditaire. Une belle récompense pour l’agence Richter architectes & associés, qui, loin du star-système, affiche une production exemplaire.