Iris, œillets ou camélias colonisent le luxueux jersey de soie, médium préféré de Léonard Paris depuis sa création il y a cinquante-huit ans. Le créateur de ce jardin ? Daniel Tribouillard, président et directeur artistique. À 81 ans, il croque toujours chaque motif sur ses blouses ou ses robes, à la main et à l’encre, sur des feuilles de 1,50 mètre de côté ! L’atelier parisien colorise ses travaux, puis 250 prototypes de vêtements sont réalisés sur place, dont 50 expérimentaux réservés au défilé. Cent modèles partent ensuite à Milan afin d’y être imprimés au cadre (à partir de gabarits, chaque couleur ayant son propre modèle, une technique adaptée aux grandes dimensions, NDLR). Les impressions au jet d’encre, elles, rejoignent le Japon. « Nous y avons trois tables d’impression où les couleurs au jet d’encre sont gravées une à une. Certaines pièces en mousseline de soie en comportent près de vingt, précise Nathalie Tribouillard-Chassaing, directrice de cette maison de mode 100 % familiale. Le jet d’encre permet un nombre illimité de couleurs et la fabrication en petites quantités. L’impression au cadre, elle, sur 200 mètres de tissu au maximum, est réservée au jersey de soie ou de viscose. Chaque nouvelle collection voit fleurir une douzaine d’imprimés inédits. » Ceux-ci viennent à leur tour enrichir 5 000 esquisses archivées, dont 4 000 jamais utilisées encore ! Ces documents, assortis de leurs échantillons de tissu et des dessins techniques, s’ajoutent ainsi aux créations conservées depuis 1970. « Après guerre, mon père vendait les tissus de Jacques Léonard, qui lui a laissé carte blanche pour créer la première collection de prêt-à-porter en 1958. C’est ainsi que tout a commencé, explique Nathalie Tribouillard-Chassaing. Il a aussi révolutionné le fully fashioned (l’impression à plat dans un twill jersey réputé non imprimable), a imaginé la première cravate réversible et a été le seul Occidental à avoir pu créer des kimonos au Japon pour la famille impériale. » Daniel Tribouillard rachète Léonard en 1987. Il s’entoure de ses filles, Virginie, à la production, et Nathalie, au développement international. « Indépendants, nous n’avons pas les moyens de nos concurrents, reconnaît celle-ci. Un investisseur pourrait certes apporter de l’argent et une méthode, mais nous souhaitons rester autonomes pour le moment. » Le Petit Poucet n’a pas de département marketing et mise plutôt sur des créateurs comme Christine Phung, qui vient d’arriver. La jeune femme de 37 ans sera la gardienne des codes. Elle devra piocher parmi les dessins et la palette de Daniel Tribouillard, mais aussi apporter ses idées, ses matières, ses formes ainsi que son architecture. La place était occupée ces deux dernières années par Yiqing Yin dont les créations pourtant somptueuses n’étaient pas jugées assez commerciales. Sa remplaçante possède sa propre marque depuis 2011, qu’elle va d’ailleurs continuer de diriger. Diplômée en stylisme de l’école Duperré, Christine Phung a remporté l’Andam Fashion Award en 2013. Son côté cash – salué par Nathalie Tribouillard-Chassaing – devrait l’aider à s’imposer auprès du patriarche à forte personnalité. Présentée en octobre prochain, la collection été 2017 offrira une première estimation de la collaboration qui s’engage autour d’imprimés contemporains, en quarante looks créatifs et déclinables.
Construire une garde-robe
Car Nathalie Tribouillard-Chassaing souhaite que ces modèles vivent au quotidien. « Ce que les clientes voient sur le podium sera exploité, aussi bien l’allure que la robe qui marque une saison. Le décalage est trop fort actuellement. Par ailleurs, le sac est un accessoire très important qui nous fait défaut. Nous avons embauché une styliste en maroquinerie qui travaillera étroitement avec Christine Phung. » La directrice a évidemment en tête Hong Kong et la Corée du Sud, où viennent d’ouvrir deux boutiques centrées sur les foulards de soie et les étoles, qui fonctionnent très bien. Christine Phung, qui a travaillé pour Christophe Lemaire et Vanessa Bruno, devrait bien s’entendre avec la marque internationale qui, comme elle, joue avec brio de l’imprimé en couleur. « J’analyse toujours la matière scientifiquement pour en explorer la perception sensorielle, confie-t-elle. Je m’intéresse aussi au numérique, un monde nouveau. Et ma dernière collection a fait intervenir le plasticien Mathieu Mercier, qui a repeint des diamants XXL. » Lignes fluides mais strictes, couleurs claquantes et maîtrisées par un trait rigoureux, donnent une petite idée de l’ambitieux travail de Christine Phung, capable de pimenter le classicisme de Léonard. « La transversalité de la mode avec l’art m’intéresse pour la vision du monde, le ralentissement du rythme et la vision sociétale qu’elle propose. J’apprécie ainsi Tauba Auerbach qui manie la couleur à partir du nuancier Pantone et réalise des sortes de plissages », confesse la styliste, qui a entrepris d’explorer les archives de Léonard. Elle souhaite en effet replacer les basiques au centre d’une garde-robe dopée par des vestes, des manteaux ou des tee-shirts en jersey de soie actuels et accessibles. « Dans le futur, j’espère aussi retravailler la gamme chromatique. D’autant que les techniques d’impression de Léonard sont incroyables et la maîtrise du jersey de soie, si difficile à travailler, est merveilleuse. » Souhaitons que cette jeune collaboration soit un chemin parsemé de roses.