Le Rêve des formes est une exposition éclectique qui réunit une trentaine de personnes sur fond de dialogue entre art et science. Comment vous, Patrick Jouin, vous êtes-vous retrouvé embarqué dans l’aventure ?
Il y a quelques années j’ai eu l’occasion d’être exposé au Centre Pompidou (La Substance du design en 2010, Ndlr) dans laquelle je déployais une réflexion sur le processus créatif des objets. J’ai fait la rencontre d’Alain Fleischer, le fondateur et directeur du Fresnoy et il s’est montré intéressé par mes recherches autour de l’impression 3D. Il a donc pensé à moi pour Le Rêve des formes !
Réaction ?
Cela m’a pris un petit peu de temps car une exposition artistique ce n’est pas habituel pour moi. Mais finalement il y avait aussi cette idée du voyage, de l’exploration, du rêve, qui font partie du processus de création. Cette idée m’a accroché, intéressé…
Quelle est la part de rêve et d’imagination dans votre rapport à la création ?
Quand on rêve, on imagine des choses qui semblent assez floues, qu’on ne voit pas vraiment… C’est pour cette raison qu’on dessine ! Quand on commence à dessiner, on tente de transformer ce qu’on cherche en une forme qui est d’abord totalement imparfaite, une intuition, un bout de dessin et qui se précise progressivement.
Comment la technique d’impression 3D a-t-elle modifié ce processus créatif ?
Ces techniques sont fascinantes. Les contraintes de fabrication n’existent plus, ou quasiment plus. On pourrait dire que c’est une sorte d’impression du rêve. Ce que j’ai rêvé, je peux le fabriquer, la seule limite étant celle de mon pouvoir d’imagination. J’ai expérimenté cette technique pour la première fois avec Solid en 2004, une chaise manifeste, très expressive dans sa forme pour montrer les capacités de l’impression 3D. Ont suivies la table One Shot et pour finir la lampe Bloom sur le même principe… Depuis le procédé s’est largement démocratisé.
Dans la même veine que Solid, votre installation au Palais de Tokyo paraît très organique, comme inspirée de la nature…
Dans la nature, rien n’est laissé au hasard, tout est porté vers une ultra efficacité. La nature fait toujours de l’utile ! C’est ce que j’ai essayé de suivre avec Solid puis avec mon installation au Palais de Tokyo. Dans la conception de l’objet, j’essaye d’être le plus efficace et économe possible, dans une visée écologique. C’est incroyable parce qu’on peut désormais créer des objets avec un minimum de matière possible.
Pouvez-vous décrire votre installation ?
J’ai décidé de m’inspirer de la nature et de la structure de l’os en particulier, en essayant toujours d’économiser la matière. Mon banc est souple et rigide : évidé et nervuré à l’intérieur de multitude de ponts ordonnés par le logiciel Grasshopper et que l’on peut voir grâce à la vidéo. Ce banc en plastique fait 3,7 kg, et peut supporter 150 kg, on est allé le plus loin possible… Jusqu’aux prochaines innovations techniques !
Quel espoir mettez-vous dans le progrès technique ?
J’ai l’espoir qu’il favorise une dimension écologique dans le processus de fabrication. Prenons le plastique : ce matériau est une pure invention de l’homme, c’est pratique, très malléable mais ça pollue… C’est notre génie mais c’est aussi notre cancer. On doit être capable de prendre conscience de notre création et de la contrôler. Soyons intelligents ! Utilisons la matière synthétique mais de manière frugale, soyons économes dans le processus créateur.
C’est le matériel médical endoscopique qui permet de voyager au cœur de cet objet grâce à un dispositif micro-invasif, connaissiez-vous ces innovations techniques dans le domaine de la médecine ?
C’est en effet l’autre partie de l’installation. Je suis fasciné par la médecine, l’exploration du corps humain et les recherches de Léonard de Vinci par exemple. J’ai rencontré le professeur Jacques Marescaux en réalisant le design d’intérieur de la brasserie des Haras à Strasbourg. Il dirige l’IRCAD (Institut de Recherche contre le Cancer de l’Appareil Digestif) et m’a proposé de venir observer l’action des endoscopes robotisés, des techniques futuristes incroyables : c’est l’une des expériences les plus fortes de toute ma vie ! Notre collaboration pour l’exposition Le Rêve des formes est née autour de l’envie de mêler nos deux domaines : design et médecine.
Quel avenir pour le design et l’artisanat avec ses nouvelles techniques ?
Dans ce type de fabrication, il n’y a plus de travail manuel. Il y a un travail intellectuel en amont qui est la modélisation de l’objet. L’artisanat ne va pas pour autant disparaître car il conserve évidemment une valeur supérieure. Prenez les joailliers de Van Cleef, ils mettent des années à savoir faire ça et le résultat est inouï. La fascination pour l’artisanat et le travail manuel existera toujours je pense… Cela fait partie de l’humanité, tout comme le plaisir de faire, de créer. Il faut aussi garder à l’esprit que ces techniques ultra performantes restent des outils, un prolongement de l’intelligence créatrice de l’homme. Le point de départ est toujours l’imagination. La technologie reste sans intérêt sans cette touche humaine, et sans la sensibilité esthétique.
Exposition Le Rêve des formes – Art, science, etc. Palais de Tokyo, Paris. Du 14 juin au 10 septembre 2017.