Lorsque Barnabé Fillion est parti pour la première fois au Japon, à l’âge de 21 ans, il a mis un seul livre dans son sac à dos : l’autobiographie de Charlotte Perriand (Une vie de création, éd. Odile Jacob). « Cette femme a toujours été un guide, comme une mentore pour moi. J’ai toujours été fasciné par cette alliance entre minimalisme japonais et intelligence du design social avec l’usage du métal tubulaire », raconte le parfumeur, qui vient de créer Rozu, une fragrance en hommage à la designer, pour Aesop.
Depuis toujours, la marque de produits de soin d’origine australienne entretient des liens avec le monde de la culture. D’abord par son nom, inspiré de celui de l’écrivain grec Ésope ; mais aussi à travers l’exergue de Virginia Woolf inscrite sur la façade du siège de l’entreprise, à Melbourne – « Why are women so much more interesting to men than men to women ? » (Pourquoi les femmes sont-elles tellement plus intéressantes pour les hommes que les hommes pour les femmes ?) –, ou encore à travers les nombreuses collaborations suscitées avec des architectes pour ses boutiques du monde entier (Snøhetta à Londres, Düsseldorf et Singapour ; Dimorestudio à Milan ; les frères Campana à Sao Paulo ; Simplicity, l’agence de Shinichiro Ogata, à Tokyo…). C’est sans doute pour cela que la marque confie ses essences à Barnabé Fillion, un nez qui se nourrit des autres disciplines pour créer. « Je développe un rapport très synesthésique au parfum. Lorsque je sens quelque chose, je vois d’abord des textures, des inspirations culturelles. Je veux ouvrir le territoire du parfum et, pour cela, je collabore souvent avec des artistes », confie-t-il.
Pour Rozu, tout est parti d’une rose développée en l’honneur de Charlotte Perriand – elle dont la terrasse de la rue de Montalembert, à Paris (VIIe), était couverte de roses – par un collectif d’horticulteurs japonais, installés au nord de Kyoto, près du lac Biwa. « C’est une variété beige avec un ton un peu cuivré. Fasciné par cette teinte métallique, je m’en suis servi pour développer ce parfum, inspiré de l’un des matériaux fétiches de Perriand », détaille le créateur. À cette note de tête, il a adjoint une touche de Vetiver, « le parfum (de Guerlain, NDLR) que portait Charlotte », se souvient Pernette Perriand-Barsac, sa fille. « Mais aussi du shiso, ou basilic japonais, qui ressemble aux plantes des Alpes qu’aimait tellement Charlotte. J’y ai enfin ajouté du cumin, pour sa malice, et de la myrrhe en note de fond, qui représente les photos d’art brut de minéraux qu’elle prenait », explique Barnabé Fillion, qui s’est appuyé sur ses dons de synesthète pour ce parfum boisé et unisexe qui incarne à merveille la créatrice.
> Eau de parfum Rozu, 150 € le flacon de 50 ml, Aesop.