A bien des égards, le MIN (Marché d’Intérêt National) de Rungis est un espace inhumain. Conçus pour l’efficacité maximale des échanges de produits alimentaires, ses 232 hectares sont entièrement couverts de bâtiments tristement fonctionnels et de goudron. Ici, il n’existe aucun trottoir puisque le lieu est conçu pour le trafic des poids lourds qui sillonnent 365 jours par an ce qui demeure encore aujourd’hui le plus grand marché de produit agricoles au monde… Aussi, quand l’architecte Bruno Rollet a été consulté en 2015 pour participer à un concours pour réhabiliter l’usine d’incinération et la chaufferie de Rungis, il a sauté sur l’occasion d’apporter sa touche à un site singulier. Mi-public mi-privé, à la fois urbain et rural, Rungis affirme une esthétique architecturale très fonctionnaliste depuis sa création par Henri Colboc au mitan des années 1960.
Reléguée au fond du site du MIN, entre le Pavillon de la marée et l’A86 en raison des odeurs qu’elle dégage, l’usine d’incinération gérée par Veolia brûle non seulement les produits de Rungis devenus impropres à la consommation et les emballages mais aussi les déchets ménagers des communes avoisinantes. L’énergie récupérée permet d’assurer le chauffage des bâtiments du MIN et celui de l’aéroport d’Orly ainsi que de différentes communes alentour. En tout, 400 à 500 tonnes de déchets partent en fumée chaque jour dans cette usine.
Très technique en raison de la complexité industrielle de l’usine, la mission de Bruno Rollet ne concernait que ses façades, sa signalétique et son aménagement paysager. Sans travail sur les structures, l’architecte a pu se concentrer sur la redéfinition des volumes grâce à la couleur afin d’insuffler un peu de poésie à un site qui en manque cruellement. Avec la consultante Céline Langlois, ils décident de remettre en valeur ce bâtiment mal-aimé avec une palette audacieuse : du corail (pour rappeler le Pavillon de la marée tout proche ?), du vert et du mordoré pour rendre le bâtiment plus identifiable, le requalifier, l’humaniser. Une cheminée désaffectée de 27 mètres est habillée de bleu et plantée de lierre, une espèce grimpante destinée à habiller le fût. « L’architecte a toujours sa place, même dans les bâtiments ingrats », plaide Bruno Rollet.
Pour documenter son intervention, l’architecte a fait appel au photographe Vincent Fillon, qui a notamment pris de nombreux clichés du bâtiment durant la nuit, quand Rungis est en pleine activité. Une façon de marquer de son empreinte le site avant de nouvelles réhabilitations ? Consulté sur l’évolution du Grand Paris, l’architecte et urbaniste Roland Castro vient de déclarer : « Il n’y a aucune raison que Rungis ne puisse devenir un lieu habité, sans déranger le grand marché actuel. »