Le Métier de vivre est l’une de ces expositions qui invite à réfléchir sur la création humaine. Née d’une idée du curateur Raphaël Giannesini, elle voit le jour dans le Palais des Beaux-Arts, imprégné des héritages artistiques du passé. Bien plus qu’une exposition collective, elle entremêle les œuvres d’artistes, d’étudiants, de diplômés, d’enseignants, de brodeurs, de menuisiers, de designers ou encore d’enlumineurs, et offre à tous ces acteurs la possibilité d’interconnecter leurs productions.
Réunir différents corps de métier
Tout débute par la découverte des enluminures issues des collections des Beaux-Arts. Face à ces dernières, Raphaël Giannesini s’interroge : comment relier différentes formes et métiers d’art ? À l’instar du travail de William Morris qui, face aux prémices de l’industrialisation et de l’uniformisation des créations, souhaitait opérer un retour à l’artisanat et à l’ornement, l’exposition réunit des corps de métiers complémentaires. Pensée comme le résultat d’une véritable corporation de créateurs, elle s’étend sur deux espaces qui communiquent : l’atelier et le logement.
Dans l’atelier, les outils fabriqués par Matteo Magnant, et avec lesquels ce dernier travaille le bois, sont disposés sur un mur à hauteur de regard. Retenus par un délicat fil en fer à béton, telle une suture verticale conçue par Charlotte Simonet, ils symbolisent des objets qui permettent de donner naissance à des œuvres, de la pensée à la matérialisation. Au cœur de ce premier espace, deux caisses en bois fabriquées par Raphaël Sitbon font office de capsule temporelle : l’une d’elles renferme en effet une enluminure dissimulée par une trappe, une façon inédite de présenter ce type d’objets d’art.
L’espace présente également un établi qui se fond dans la cloison jusqu’à la traverser pour conduire au logement, à l’image du rôle qu’occupe l’artiste, à la fois artisan et habitant.
Dans le logement, le rapport entre « faire» et « vivre» est décuplé puisque l’ornement occupe ici une place plus importante. L’établi, traversé par les coutures de fer auxquelles Charlotte Simonet a ajouté des fleurs en laiton et en cuivre, se prolonge en bonheur-du-jour — un meuble traditionnellement destiné à l’écriture intime et à la correspondance. Comme un écho, d’autres objets — à l’instar de la chaise de Pascal Aumaitre encastrée dans les planches de la table — répondent à ceux qui occupent le premier espace.
Estomper les frontières entre l’art et la vie
Les trois générations d’artistes réunies pour ce projet (enlumineurs de la période gothique, designers de l’Arts and Crafts et génération contemporaine d’artistes étudiants ou diplômés) collaborent ainsi sur plusieurs œuvres. Chacun des acteurs de l’exposition est hissé sur le même pied d’égalité, à rebours de la pratique individuelle de l’art : l’idée étant précisément de contrer le phénomène de « White Cube » tel qu’il existe aujourd’hui dans les expositions.
En décloisonnant les arts et les pratiques, Raphaël Giannesci et les différents artistes permettent d’ouvrir la réflexion déjà amorcée par l’Arts and Crafts selon lequel les productions auraient toujours une fonction d’ornement et une fonction utilitaire. De cet atelier-logement émane finalement cette idée d’ »échafaudage », chère au curateur, selon laquelle chaque artiste dresse un élément pour un autre, de manière à produire un résultat difficile à catégoriser, entre sculpture, design et architecture.
Avec Le Métier de Vivre, le glissement opéré entre transmission d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre s’effectue naturellement et les compétences et techniques de chacun viennent nourrir la pluralité de leurs univers.
Plus qu’une simple cohabitation, les œuvres agissent comme un chœur musical, unies dans un dialogue permanent et où des voix solistes s’élèvent à tour de rôle.
> L’exposition Le Métier de Vivre est à voir jusqu’au 30 avril 2022 au Palais des Beaux-Arts à Paris