« Une maison est une machine à vivre. La maison doit être l’écrin de la vie, la machine du bonheur. » Cette idée, Le Corbusier l’aura martelée toute sa vie. Mais avant de devenir ce monstre de l’architecture du XXe siècle, il naît en Suisse, sous le nom de Charles Edouard-Jeanneret, le 6 octobre 1887, dans la ville de La Chaux-de-Fonds, connue pour sa culture horlogère. A seulement 18 ans, le jeune homme réalise son tout premier bâtiment, la Villa Fallet, où il incorpore le “style alpin”. L’esprit de la “machine à habiter” est encore bien loin.
Les voyages forment les architectes
Avec l’argent perçu pour ce projet, il finance, entre autres, un voyage en Italie. Des pérégrinations enrichissantes, où il découvre le Musée des Offices ou encore la chartreuse d’Ema. Cet apprentissage se prolonge à Vienne, où il est malheureusement remercié par les architectes locaux. A l’automne 1909, il retourne en terre helvétique, pour poursuivre de nouveaux séjours en Allemagne, à Prague, Budapest ou encore en Turquie, mais aussi en Serbie, Grèce et Roumanie.
De retour à La Chaux-de-Fonds, il s’y installe comme architecte, et y enseigne à l’Ecole d’Art. C’est à cette même période que ses parents lui commandent leur maison, connue sous le nom de la “Maison Blanche”. Mais l’appel parisien se fait plus fort que jamais. Amer face à la neutralité suisse lors de la Première Guerre mondiale, il s’installe définitivement à Paris en février 1917. Evoluant au centre de la vie artistique locale, il fait la connaissance de l’artiste Amédée Ozenfant avec qui il lance en 1920, la revue “L’Esprit Nouveau”, aux côtés de Paul Dermée. C’est dans celle-ci, en signant ses articles, qu’il prend alors le pseudo de Le Corbusier, inspiré du patronyme d’un aïeul. Il se consacre aussi à la peinture, notamment en réalisant sa première huile sur toile puriste “La Cheminée”, exposée à la Galerie Druet.
Les cinq points pour une architecture nouvelle
Les pilotis, car ils permettent la mise en place du plan libre « La maison est en l’air, loin du sol ».
Le plan libre offre une totale liberté pour l’agencement intérieur et rend indépendante la distribution pour chaque niveau.
La fenêtre en longueur , qui s’insère de manière ininterrompue sur les façades.
Le toit-jardin remplace les combles et offre un jardin suspendu au sommet de la maison.
La façade libre constitue une enveloppe indépendante de la structure.
C’est à cette même époque, qu’il débute sa collaboration avec son cousin Pierre Jeanneret, et fait la connaissance de celle qui sera son épouse Yvonne Gallis. En 1923, il construit avec son cousin les Maisons La Roche et Jeanneret, pour lesquelles il réalise des meubles à piètement tubulaire. 1923 est aussi l’année de parution de “Vers une architecture” où il promeut une architecture contemporaine.
Raser la rive droite de Paris
Amateur de polémique, il ne cesse d’agiter le monde de l’architecture, notamment avec le “Plan Voisin”, un projet d’urbanisme qui remodèle le centre de Paris, en rasant le centre historique de la rive droite pour y installer des gratte-ciel au plan en croix. En 1924, un an plus tôt, naissait la Cité Frugès à Pessac, où il expérimente ses théories sociales et le Pavillon de l’Esprit Nouveau, à l’occasion de l’Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925. Le temps des commandes d’envergure est arrivé.
En octobre 1927, il fait la connaissance d’une certaine Charlotte Perriand pour l’élaboration de son programme mobilier. C’est à la suite de cette rencontre que naît toute une série de mobilier iconique comme la chaise longue LC4. L’année suivante, Le Corbusier reçoit une commande de la famille Savoye pour une villa à Poissy, où il applique les “cinq points de l’architecture nouvelle” (voir encadré) et organise le premier Congrès International d’Architecture Moderne au château de la Sarraz. Celui-ci reçoit la crème de l’architecture comme Auguste Perret, Gerrit Rietveld, André Lurçat et Tony Garnier.
Une montée en puissance, coupée en plein vol avec l’arrivée de la crise de 1929. L’immeuble Molitor, aussi connu sous le titre d’Appartement-Atelier, voit le jour malgré les contraintes de l’époque. Il y emménage avec son épouse. Après la crise de 1929, vient la Seconde Guerre mondiale. Désormais Français, il offre ses services au pays, notamment en construisant une cartoucherie à Aubusson. Affecté par la défaite, il rejoint le régime de Vichy, pensant pouvoir œuvrer pour la reconstruction, selon les principes de l’architecture moderne. Il n’obtient que des missions sans envergure. En juillet 1942, il quitte définitivement Vichy pour Paris.
Naissance du Modulor et des Unités d’Habitation
C’est alors que naissent les “attributs” les plus iconiques de Le Corbusier. En 1943, il publie “La Charte d’Athènes”, qui fait suite au Congrès international d’architecture moderne (CIAM) qui s’est tenu en 1933. Il y liste les grands principes de l’architecture et de l’urbanisme fonctionnaliste. L’année suivante, il débute ses recherches sur les célébrissimes Unités d’habitation. En 1945, vient la mise au point du Modulor, ce système de mesure basé sur le corps humain. Deux ans plus tard, la construction de l’Unité d’Habitation de Marseille est lancée.
Le projet de reconstruction de la chapelle Notre-Dame-du Haut à Ronchamp lui est aussi confié. Il est également nommé consultant général pour Chandigarh, la nouvelle capitale du Penjab en Inde.
La ville nouvelle, dont le Complexe du Capitole est classé à L’Unesco, est le plus grand site au monde pensé par l’architecte. Un projet qui nécessite de nombreux aller-retour et qui l’épuise. Il fait alors de Roquebrune-Cap Martin son refuge méditéranéen. Il y sympathise avec Thomas Rebutato, un ancien plombier de Nice ayant installé un bar-restaurant Etoile de Mer. Ce dernier lui cède une partie de son terrain, où l’architecte installera le célèbre cabanon en 1952. Cinq ans plus tard, il construit pour Rebutato cinq Unités de camping.
Les Fresques de la Villa E 1017
A côté de l’Étoile de Mer se trouve la Villa E1017, érigée en 1929, et pensée par Eileen Grey et Jean Badovici. Petit bijou de modernisme, elle accueille à plusieurs reprises Le Corbusier. Visites pendant lesquelles, il réalise plusieurs fresques sur les murs de la maison. Ces peintures ont un léger goût de scandale. Considérées par certains observateurs comme une agression, un biographe d’Eileen Grey, Peter Adam, y voit un “acte de vandalisme”, notamment envers la personne d’Eileen Grey. Une perception à nuancer, si l’on en croit Tim Benton, professeur d’Histoire de l’Art, qui y voit des “peintures inappropriées”, tout en rappelant que Badovici était propriétaire du lieu, et qu’il “a encouragé son ami à s’exprimer sur les murs de sa maison “, où “Eileen Grey n’habitait plus” alors.
C’est tout près de ce repaire, le 27 août 1965, que Charles Edouard-Jeanneret, alias Le Corbusier, est victime d’une crise cardiaque lors de sa baignade. L’architecte aura droit à des obsèques nationales dans la cour carrée du Louvre.
Référence de la discipline, aussi bien contestée qu’adulée, Le Corbusier est une de ces figures tutélaires qui aura profondément marqué l’architecture du siècle dernier.