Ce fauteuil Capitello designé par Studio 65, une agence historique basée à Turin, est devenu un archétype du design italien. Il est tout en mousse de polyuréthane enduit de la fameuse peinture Guflac de Gufram qui l’édite toujours. Ses utilisateurs s’y asseyent de face ou de côté. Ce siège fait partie d’une famille d’objets comprenant aussi une table basse et un tabouret également inspirés d’une colonne ionique. Si on les empile en les laissant artistiquement non alignés, on se croirait dans un décor un brin humoristique inspiré des fonds d’aquariums décorés de faux vestiges.
En 2000, le label B&B Italia ressortait le tabouret UP7 conçu par le designer italien Gaetano Pesce en 1969. Dans la société alors dirigée par Cesare Cassina et qui s’appelait alors C&B, le jeune architecte était payé à créer librement sans cahier des charges ni responsable du marketing sur le dos. Passant du temps aux Etats-Unis, en plein essor du Pop art, il n’en oublie pas pour autant sa culture italienne. L’enfant de Florence va faire mouler en polyuréthane un pied géant, comme celui, d’époque, photographié ici dans son studio de Brooklyn. Il n’est pas sans évoquer celui de l’empereur Constantin, tout en marbre, qui trône au Capitole de Rome.
A croire qu’en Italie, la création contemporaine est indissociable de la maîtrise de la culture classique. Même un designer espagnol comme Jaime Hayon puise lui aussi dans l’architecture antique pour donner forme à cette création éditée par Paola C., éditeur spécialisé dans les objets de table surfins, souvent signés d’architectes et de designers. Dont Jaime Hayon qui, lui, s’est inspiré du Colisée pour réaliser Colosseo, ce centre de table en cuivre.
L’architecture du quartier de l’EUR à Rome et de son célèbre Palazzo de la Civilita Italiana était moins destiné à décorer les chambres d’enfants qu’à exalter la gloire du Duce. Cette architecture a été digérée. Les architectes ou les designers en parlent désormais en la détachant de son contexte mais sans l’occulter. Le designer italien Giulio Iachetti en avait fait un meuble de rangement pour son label Internoitaliano. Pour Magis, il en a imaginé et mis au point une version industrielle. EUR est aussi bien devenu une architecture domestique pour chambre d’enfants que pour séjour élégant.
Même inspiration chez Kartell pour un autre produit lui aussi baptisé EUR, ce quartier modèle de la Rome des vingt premières années du fascisme, resté célèbre pour son architecture rectiligne. Par contre, le designer est cette fois-ci, Fabio Novembre, qui lors du dernier salon du Meuble de Milan comparait l’architecture aux courbes du corps des femmes, perçu comme protecteur. Bien que récusant la prééminence de l’angle droit, ses tabourets EUR sortiront bientôt en deux versions, cube et colonne arrondie.
Décidément omniprésent, le designer espagnol Jaime Hayon, pourtant peu enclin à suivre les mouvements, a glissé sous son jeu de tables Arcolor chez Arflex, un piétement en arche. La référence à l’antique est discrète.
Chez Alessi, des architectes avaient déjà joué à inviter l’architecture voire l’urbanisme dans des petits objets pour la table. Le designer Michael Graves a été plus loin encore que de servir l’architecture sur un plateau. Mais il reste plus dans l’évocation stylisée que dans la citation littérale. Sa pendule Mantel ressemble à l’architecture d’Aldo Rossi mais miniaturisée. Mantel a vraiment quelque chose de post-moderniste. Mais ce quelque chose tire sa cohérence de la culture classique, avec pour preuve, cet éloge du parallélisme. La pendule n’en est que plus rassurante, plus encore que l’idée du temps qui passe.
A Londres, du côté de Covent Garden, c’est dans l’architecture intérieure que vient se glisser la tendance néo-antique. Dans le tout récent hôtel Henrietta, un projet de l’architecte d’intérieur Dorothée Meilichzon, la tendance néo-antique siffle au-dessus des têtes de lit. La référence est aussi celle de ces bâtiments anglais presque néo-palladiens avec la symétrie parfaite de leurs frontons alignés. Mais leur classicisme – il faut bien le dire au risque de se répéter – est né de l’inspiration … antique.
Artemide, fort d’éditer des valeurs sûres du monde de la lumière, ressort la lampe Pausania dessinée en 1983 par le grand Ettore Sottsass. Il réussit là en quelque sorte un rafraîchissement de la lampe de banquier. Son nom Pausania, emprunté à un géographe grec n’explique pas tout. Le dessin de ce luminaire est surtout aussi tranquille et parfait que celui d’un frontispice antique. En fait, cette inspiration antique est beaucoup celle de l’architecture de l’Antiquité. Le Corbusier en fera l’éloge des siècles plus tard comme on parle d’une sorte de perfection.
Palladia est un pilier du design italien. Ce buffet du designer Piero Fornasetti rend hommage à l’équilibre formel de l’architecture antique via la perfection plus tardive des façades des villas palladiennes du Veneto. Rien que cette évocation permanente de la villegiatura italiana idéale, à chaque fois qu’on range sa vaisselle, va au-delà de l’exercice de style. On est carrément dans l’antidépresseur. Extraordinaire de voir comment un meuble on ne peut plus fonctionnel, projette une émotion esthétique en remettant à jour l’horlogerie interne de ce registre esthétique à jamais estimable, celui né dans l’Antiquité.