L’un des plus anciens magasins de la capitale a célébré sa réouverture en juin 2021. Fondée par le couple avant-gardiste que formaient Ernest Cognacq et Marie-Louise Jaÿ, la Samaritaine ouvre ses portes rue du Pont-Neuf en 1870. Au départ, il ne s’agit que de quelques échoppes et boutiques mitoyennes. En 1910, elle prend véritablement corps avec un bâtiment Art nouveau signé Frantz Jourdain, puis, en 1928, avec un édifice Art déco d’Henri Sauvage.
Située au cœur de Paris, sur les quais de Seine, la « Samar » connaît rapidement le succès, en témoigne ce surnom familier pour un lieu qui s’impose comme un incontournable de la capitale.
En 2001, LVMH fait une acquisition partielle de l’ensemble, puis, en 2010, de la totalité. Le groupe de Bernard Arnault fait appel à l’agence Sanaa (Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, Pritzker Prize 2010), associée à SRA Architectes, afin d’écrire le nouveau chapitre de la Samaritaine. Celle-ci ferme ses portes en 2005, pour des raisons de sécurité, invoque-t-on alors.
Créer des liens entre le passé et le futur
En 2015, après des années de polémique, les travaux commencent enfin. Parce que le projet est ouvertement ambitieux face à ce joyau en partie classé aux Monuments historiques, il suscite très vite des levées de boucliers. Car dès le départ, les architectes japonais ont affirmé haut et fort leur volonté de créer des liens entre le passé et le futur pour cette Samaritaine qui ne pouvait se contenter de regarder simplement dans le rétroviseur.
Un nouveau bâtiment est réalisé rue de Rivoli, séparé par la rue Baillet. Deux nouveaux patios formant des puits de lumière sont créés. Des mètres carrés sont ainsi sacrifiés au profit d’une ouverture vers le ciel et d’une lumière naturelle augmentée. Grâce à un axe de circulation central, les visiteurs peuvent désormais traverser la Samaritaine depuis la rue de Rivoli jusqu’au quai du Louvre, en bord de Seine.
Le reflet puissant du paysage parisien
Mais l’objet principal des multiples désaccords au cours de cette longue histoire – qui dure encore – fut la façade imaginée par Sanaa pour la rue de Rivoli. Ce voile de verre ondulé, qui donne aujourd’hui à l’institution son visage contemporain, a provoqué des sueurs froides chez les défenseurs d’une ville muséifiée.
Quel meilleur hommage pourtant que de s’effacer pour refléter puissamment le paysage parisien, questionnant par là même la notion de limite entre intérieur et extérieur ? Avec ses 43 panneaux (de 2,70 x 3,50 mètres) de verre sérigraphiés, cette façade est aujourd’hui le symbole de cette renaissance.
Elle réinterprète de façon contemporaine le travail initial sur le verre et le métal mené par Frantz Jourdain et Henri Sauvage. N’en déplaise aux détracteurs, il s’agit moins d’une rupture que d’une continuité historique.
La réouverture de la Samaritaine : une renaissance au long cours
Il aura donc fallu seize ans entre la fermeture et la réouverture de la Samaritaine. La pandémie est venue donner le coup de grâce, repoussant encore un peu plus l’échéance. Mais le 23 juin dernier, le public a enfin pu découvrir ce haut lieu de l’architecture, dans une version rénovée.
Quelques jours auparavant, il avait été inauguré par Emmanuel Macron lui-même, qui s’est réjoui d’« un retour à la vie, dans ce temple du shopping et de l’art de vivre à la française ». La Samaritaine trouve désormais sa place au cœur d’un quartier en mouvement, avec la Bourse de Commerce récemment ouverte et la Poste du Louvre, en fin de chantier.
LVMH a confié le réaménagement des 20 000 m² de surfaces commerciales à DFS, leader mondial du duty free et détenu en majorité par le groupe de Bernard Arnault. Si tout un chacun peut pousser la porte de la Samaritaine et en admirer le faste, l’offre commerciale est clairement tournée vers le luxe. Le temps du slogan « On trouve tout à la Samaritaine » est désormais révolu.
Un patrimoine remis à neuf
Enseignes prestigieuses et créateurs occupent désormais le bâtiment Pont-Neuf tandis qu’un concept-store s’installe côté Rivoli. Quelque 600 marques sont représentées ici, où 2 400 employés s’affairent 364 jours par an. Un changement de cap en rupture avec son passé de bazar parisien.
L’aménagement intérieur est à la hauteur de ce virage. Nombreux sont les architectes et décorateurs d’intérieur qui ont œuvré ici. Les bâtiments Art nouveau et Art déco (Jourdain Plateau et Jourdain Verrière, désormais réunis sous le patronyme Pont-Neuf) ont été soigneusement restaurés.
La réhabilitation historique du bâtiment Jourdain Verrière – le plus spectaculaire – est signée Lagneau Architectes. Verrière et structure Eiffel forment l’apothéose de l’ascension par les escaliers centraux. La fresque des paons, longue de 115 mètres et haute de 3,15 mètres, surplombe les 1 000 m² hybrides revisités par Jean-Michel Wilmotte.
Une inspiration du chic parisien
Cet espace mêle restauration et culture, à travers trois ambiances différentes, de la plus formelle à la plus décontractée. Basé à Toronto et à New York, le studio canadien Yabu Pushelberg s’appuie sur une solide expérience en matière de retail. Il s’est chargé de l’aménagement intérieur des étages du bâtiment Pont-Neuf.
Sans surprise, l’atmosphère est chic, chaleureuse et raffinée ; les matériaux, nobles et sophistiqués. Hubert de Malherbe s’est vu confier l’espace beauté qui peut se targuer d’être le plus grand d’Europe. Sur 3 400 m², il occupe la totalité du sous-sol côté Rivoli. Édouard François s’est quant à lui attelé au bâtiment Sauvage, qui accueille l’hôtel Cheval Blanc Paris, dont la décoration a été confiée à Peter Marino qui, lui aussi, s’est inspiré du chic parisien.
Le renouveau rue de Rivoli
S’il est un espace qui échappe aux poncifs de l’architecture commerciale haut de gamme, ce sont les 3 000 m² répartis sur trois niveaux situés dans le bâtiment Rivoli, posté sur la rue éponyme, derrière la façade de Sanaa. L’aménagement a été confié au collectif Ciguë qui, fidèle à ses habitudes, a dessiné, mais aussi fabriqué, l’ensemble du mobilier.
Les architectes installés à Montreuil ont travaillé sur l’idée d’un Paris qui se recycle à l’infini, convoquant des fragments archétypaux tels une colonne Morris ou des extraits de façades haussmanniennes. L’atmosphère y est urbaine et sort des standards, autant dans le dessin que dans le choix des matériaux.
Les cabines d’essayage marient staff, plaques de plâtre, panneaux de fibres-gypse et une structure en pin massif issu du réemploi. Les mobiliers (portants, socles, podiums…) utilisent l’aluminium vibré, le béton, le contreplaqué de pin et le caoutchouc recyclé blanc et jaune. Les plafonds sont en aluminium, les sols en béton.
Transformation d’un lieu hybride
Cette parenthèse brute, aux accents industriels, est bienvenue dans cet univers luxueux et relativement conventionnel. Dans les pas du travail mené par Sanaa, Ciguë a su imposer sa marque de fabrique. En marge de cette offre commerciale haut de gamme, la Samaritaine s’appuie sur une diversité de fonctions négociée avec la Ville de Paris.
Le bâtiment Jourdain Plateau comprend 96 logements sociaux et une crèche signés François Brugel. Politique avant tout, cette mixité inédite est cependant une belle façon de redonner du sens au mot renaissance.