Novembre 2020. Les neiges de l’Atlas et les sublimes jardins s’offrent en merveilleuses toiles de fond. Alors que la moitié de la planète étouffe sous le bâillon d’une pandémie partie pour durer, le palace La Mamounia, à Marrakech, tente de faire belle figure. Un chantier achevé en quelques mois à peine réinvente complètement ses lieux de convivialité, à savoir une dizaine d’espaces éparpillés sur son domaine de 15 hectares.
Pour sublimer de tels endroits, Pierre Jochem, son directeur général, a eu la bonne idée de missionner un tandem bien rodé au firmament des étoilés Michelin : Patrick Jouin et Sanjit Manku. Leur vocabulaire à la française, truffé de références, brouille volontiers les lignes entre architecture intérieure et design global, création industrielle et artisanat d’art.
Après qu’Alain Ducasse leur a commandé ses tables les plus spectaculaires à Paris, Londres, Monaco, Las Vegas et Bangkok, et à force de servir de faire-valoir au gotha de la gastronomie, budgets souvent stratosphériques à l’appui, les usages contemporains du fine dining n’ont plus de secret pour le duo et ses 40 collaborateurs. Ici, le talent de chefs cosmopolites, Jean-Georges Vongerichten et Pierre Hermé, s’exécute tout au long des menus et de la ronde des assiettes. Le sens d’une hospitalité légendaire, chère au cœur des Marocains, a présidé à cette production expresse et majuscule le temps d’un été et sans même fermer – et fait suite au grand chelem imaginé par le décorateur Jacques Garcia entre 2006 et 2009.
« Au delà d’une couleur ou d’un ornement, il s’agissait d’aller contre certains repentirs »
Là, à l’exception des 209 chambres et suites, de quelques salons, patios et du spa, restés dans le mood Garcia, le projet Jouin Manku se déploie sur plus de 1 700 m2 dans un florilège d’expériences gustatives et conviviales, toutes plus moelleuses : un restaurant asiatique, un autre italien, un salon de thé, une œnothèque, trois ou quatre bars, une pool house ainsi qu’une salle de cinéma, incluant pour la plupart un volet outdoor.
« Au delà d’une couleur ou d’un ornement, il s’agissait d’aller contre certains repentirs. Nous avons rapidement eu envie de célébrer la lumière, ce matériau, cette alchimie qui incite à (re)-découvrir l’ensemble dès le seuil franchi. Ce fut un point de départ, une intuition », commente Patrick Jouin depuis la galerie Mamounia, qui sert de lobby à l’hôtel mythique, sans doute le plus fameux du royaume.
« Libérer les axes cardinaux vers les lumineux jardins »
« Nous avons choisi de désorienter cet espace central, autrefois plus sombre, en libérant les axes cardinaux vers les lumineux jardins que l’on aperçoit tout au fond, afin d’animer naturellement d’autres circuits, limitrophes, hier peu fréquentés », poursuit Sanjit Manku. Un changement radical de perspectives qui apporte bien plus de lisibilité.
Exit l’atmosphère de musée un brin figée, place à un patrimoine réellement vivant, grand luxe à la croisée d’un prestige attaché aux traditions et d’un art de vivre moins corseté, « comme un bonbon qui fondrait lentement », ajoute Patrick Jouin.
À l’ouest de la galerie jaillissent les mille et une flammes du monumental lustre de cristal Lasvit. Pièce maîtresse installée à l’aplomb d’une fontaine en Inox poli, elle signe l’entrée du salon de thé Pierre Hermé, qui déborde à ciel ouvert sur le Patio andalou. Lui répond une forêt de lanternes aux motifs inspirés des palmes ou des moucharabiehs, telles des lampes d’Aladin capables de fixer l’échelle des souvenirs.
Cette richesse de l’imaginaire combinée à l’excellence d’un artisanat de haute facture, le pâtissier star l’a faite sienne sur des tablettes de chocolat dont il dit avoir trouvé le motif « exclusif » en foulant la légendaire place Jemaa el-Fna. Outre les douceurs confectionnées à base d’amlou, trésor préparé avec de l’huile d’argan, des amandes et du miel, d’autres gourmandises prolongent la nouvelle parenthèse salée du déjeuner, notamment ce burger qui a nécessité 300 « crash tests ».
Ou encore ce rituel du thé à la menthe servi au Menzeh, à l’ombre d’oliviers centenaires qui fournissent jusqu’à 6 000 litres d’huile par an. Ici encore, le toit du restaurant marocain étrenne son nouveau bar sous les étoiles. Dans cet éden intemporel travaillent jusqu’à 600 employés dévoués.
A La Mamounia, des assises haute couture
Comme dans la majorité des communs, Cassina et son pôle « contract » ont œuvré de concert avec le studio parisien et la maison Pierre Frey pour la création des assises. Intérieur nuit cette fois, le bar Churchill échauffe les sens. Une volupté ferroviaire, de bois fumé et de verre rétroéclairé, qui n’est pas sans rappeler l’appartenance du 5-étoiles à l’Office national des chemins de fer (ONCF).
Patrick Jouin a dessiné avec la célèbre maison italienne Pedrali les fauteuils du bar Churchill, du bar Marocain et de l’Oenothèque. Dans ces univers confortables et privilégiés, les formes sinueuses du fauteuil de la collection Ester s’accordent au style raffiné qui émane de ces lieux. Les lignes graciles de la collection « Ester » s’accordent parfaitement aux somptueux décors orientaux.
Au rayon lumière, on aimera tout autant la note cuivrée du Pavillon de la piscine que les liens bordeaux et terracotta tissés avec le vin de l’Œnothèque. Plus avant vers le sud, autour d’une piazza virtuelle, les deux restaurants de Jean-Georges Vongerichten, L’Italien et L’Asiatique, qui concentrent ce qui se fait de mieux en matière de fusion culinaire, ont bénéficié d’une même attention à l’artisanat d’art tout en tressant des ponts entre dehors et dedans.
« Il faut que tout change pour que rien ne change »
Le destin de La Mamounia, cette grande dame quasi centenaire qui vient tout juste de changer de garde-robe, peut tenir tout entier dans la métaphore du Guépard, le roman du prince de Lampedusa, écrit en 1958 et porté à l’écran par Luchino Visconti en 1963. Cadeau de mariage hors du temps offert par un père à son fils, La Mamounia ne cesse tout au long de sa glorieuse carrière d’accueillir le tourbillon de la vie, irriguée par la surnaturelle beauté de ses jardins.
> La Mamounia. Avenue Bab Jdid, Marrakech. Renseignements.