Au CID – Centre d’Innovation et de Design – de Grand-Hornu, en Belgique, l’exposition « Que veux-tu, Brique ? » orchestrée par Caroline Naphegyi, directrice des études de l’école Camondo et fondatrice de Design for change, réussit le pari de rendre ce matériau millénaire aussi captivant que contemporain. Surprenant, le parcours, dense mais jamais aride, invite à changer notre regard sur la façon dont nous fabriquons, habitons et concevons notre environnement.
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Entre patrimoine industriel et design prospectif
Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le Grand-Hornu est un ancien complexe minier du XIXe siècle, métamorphosé en pôle culturel depuis les années 2000. Le CID y déploie une programmation d’avant-garde, ancrée dans les enjeux contemporains. Avec cette exposition, qui emprunte son curieux titre à l’architecte Louis Kahn, la brique est envisagée autant comme un objet d’étude qu’un prétexte à penser notre rapport à la construction, à la terre et aux cycles de production.
« En interrogeant la brique, on interroge la manière dont on veut bâtir demain. Les architectes et designers ne peuvent plus travailler sans questionner l’origine de la ressource et de l’impact de sa transformation », souligne Caroline Naphegyi, directrice des études de l’école Camondo et fondatrice de Design for change.
Formes et ornements : une histoire d’appareillage
L’exposition s’ouvre sur un hommage aux savoir-faire constructifs, aux jeux d’assemblage et à l’inventivité ornementale de la brique. L’installation Appareillage Palace du duo Pinaffo Pluvinage donne d’emblée le ton avec une construction ludique et graphique. Les colonnes puissantes de Bosco Sodi, les claustras sculpturaux de Pierre Culot et le cénotaphe torsadé de Raphaël Zarka explorent quant à eux les possibilités plastiques de ces modules.
Au centre de cette première séquence, Amerika (2019) de Jorge Méndez Blake concentre toutes les tensions et… attentions : un mur de briques dans lequel le roman éponyme de Kafka est glissé à la base. Cette œuvre, créée au moment de l’élection de Donald Trump et de son projet d’extension du mur frontalier avec le Mexique, agit comme une métaphore puissante. Derrière son apparente solidité, l’édifice se voit fragilisé, littéralement désaxé, par ce récit de migration et de désillusion.













« La structure impose l’idée d’un rempart, mais le texte de Kafka en ronge symboliquement les fondations », explique Caroline Naphegyi. Pour cette exposition, l’œuvre a été reconstruite avec des briques locales issues des briqueteries belges Nelissen, dans une logique d’ancrage territorial et de limitation de l’empreinte carbone. « Faire venir des briques du Mexique n’avait aucun sens. L’artiste a accepté que l’on réactive son œuvre avec des matériaux locaux », précise la commissaire.
Recyclage et transition : la brique à l’épreuve de l’anthropocène
Cette deuxième partie, plus technique, interroge les logiques de production, d’extraction, de déchets et de réemploi des matériaux sans jamais être rébarbative. Le studio Eidola fabrique ainsi des briques à partir de poussières de granit, tandis que le collectif BC Materials réutilise les gravats de la ville de Gand pour créer des blocs compressés sans cuisson, à base de chaux. Plus écologique, leur procédé divise par trois l’impact carbone par rapport à une brique traditionnelle. Des matériaux qui seront d’ailleurs utilisés sur la façade de l’extension du Design Museum Gent.
D’autres, comme les architectes du studio BLAF, conçoivent leurs projets en fonction des matériaux disponibles localement. Leurs maisons sont pensées pour s’adapter à des briques issues de stocks existants ou de micro-manufactures situées à proximité, dans une logique d’économie circulaire.
Une leçon de design, entre archéologie et science-fiction
La troisième et dernière partie plonge dans les pratiques les plus prospectives. La brique s’y fait vivante, cultivée, compostable. Le studio Aléa (Miriam Josi & Stella Lee Prowse) présente Back to Dirt, une brique en cours de croissance, née de mycélium et de déchets textiles. Maria-Elena Pombo, elle, fabrique des briques à partir de noyaux d’algues et d’avocat. Travaillant à Caracas, où ce fruit est omniprésent et ses déchets rarement valorisés, elle imagine une nouvelle chaîne de production à l’échelle locale, où l’agroalimentaire alimente le bâtiment. Plus loin, le designer François Azambourg s’appuie sur la salive des termites pour créer une brique aux qualités céramiques inattendues. Ces démarches, entre biologie, artisanat et design, ouvrent des pistes pour une architecture post-industrielle, décarbonée et connectée au vivant.
Plus qu’une exposition sur la brique, « Que veux-tu, brique ? » est une réflexion sur les rémanences du geste constructif, sur ce que les matériaux disent de nos sociétés et de leur avenir. De la maison expérimentale d’Alvar Aalto à Josef Albers, en passant par les innovations radicales d’aujourd’hui, l’exposition, scénographiée par Marie Douel, qui offre aux œuvres un écrin de sobriété brute, conjugue passé industriel, activisme climatique et imaginaires prospectifs. Une grande réussite curatoriale, à la fois pédagogique, plastique et politique, qui prouve que la brique n’a rien perdu de sa capacité à faire parler les murs.
> Exposition « Que veux-tu, brique », jusqu’au 28 septembre, au CID, Site du Grand-Hornu, rue Sainte-Louise, Belgique.
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