Une biennale politique
La biennale de Chicago n’a pas peur de mettre les pieds dans le plat, de rappeler que le bâtiment qui l’accueille a été construit sur une terre volée aux Indiens, d’exposer Museum of Oil-The American Rooms, une installation de Territorial Agency dont le propos est de critiquer les dégâts occasionnés aux États-Unis par l’industrie du pétrole, alors que la compagnie pétrolière BP sponsorise la manifestation ! Il est aussi beaucoup question de la Palestine, notamment avec le collectif Decolonizing Architecture Art Residency, qui ambitionne de classer Dheisheh, un camp de réfugiés palestiniens de Cisjordanie, sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Mais le projet le plus émouvant, c’est celui de MASS Design Group, dans le hall d’entrée du Chicago Cultural Center, en collaboration avec l’artiste Hank Willis Thomas et des organisations de lutte contre les violences par armes à feu : un mémorial en hommage aux jeunes victimes de tueries dont les vitrines exposent des objets leur ayant appartenu. Implacable.
Quand l’État se désengage
Au sol, un scotch blanc matérialise le plan d’un appartement à l’échelle 1:1. Celui-ci représente le premier logement acquis par le FICA, un fonds immobilier communautaire à but non lucratif monté par des architectes et des designers qui achètent des appartements à São Paulo, au Brésil, pour les louer à bas coût, se substituant ainsi à l’État. Décentralisée dans la ville, la biennale pointe aussi le désengagement de l’État américain avec une visite de l’ancienne école élémentaire Anthony Overton, dans le quartier défavorisé du South Side.
Fermé en 2013, l’établissement a été racheté en 2015 par un investisseur privé local et transformé en centre culturel. Lors de l’inauguration de la biennale ont également été révélés les plans du futur National Public Housing Museum. Ce musée consacré à l’habitat social aux États-Unis ouvrira ses portes l’année prochaine… dans un ancien immeuble de HLM de l’ouest de la ville qui a échappé à la démolition. Là encore, grâce à l’action de citoyens engagés qui ont souhaité raconter ce pan méconnu de l’histoire du pays.
Néo-tour de Babel
Prendre une heure pour aller voir à l’œuvre un héritier congolais du facteur Cheval… Dans une coursive du Chicago Cultural Center, on se laisse happer par The Tower: A Concrete Utopia, l’histoire filmée de « Docteur », le seul habitant, propriétaire et architecte d’une bâtisse de neuf étages construite par ses propres moyens en forme de tour de Babel dans le quartier industriel de la ville de Limete, en République démocratique du Congo. Guidé par une logique imparable (« pas d’ascenseur, pas de panne »), ce personnage propose aux caméras de Sammy Baloji et Filip De Boeck une visite guidée de son incroyable demeure tout en béton. Chaque détail est étudié : « J’ai aménagé des bancs à chaque volée d’escalier pour se reposer. » Ou encore : « La tour se solidifie au fur et à mesure des étages, devenant plus trapue afin d’échapper aux vents. » On ressent à la fois de la fascination et un immense respect pour cet autodidacte un peu fou.