Exposer la musique est toujours une entreprise périlleuse tant il est difficile de muséifier ce qui s’écoute. C’est le défi de la très attendue « Expo Electro » qui a ouvert ses portes cette semaine dans les murs de Jean Nouvel, à la Philharmonie de Paris. Journaliste et DJ passionné, « raver » de la première heure, le commissaire Jean-Yves Leloup se dit « convaincu que la richesse de la culture électro n’a pas uniquement sa place dans les clubs et les milieux underground ». Pousser les porte d’un musée ? Oui, cent fois oui ! Point de nostalgie cependant à la Philharmonie, ni de pédagogie pompeuse qui viendrait dénaturer l’identité sensorielle de cette musique électronique. Si l’exposition revient sur la genèse du mouvement musical, sur son histoire et ses grandes figures, elle saute à pieds joints dans le présent musical, questionne sa capacité à se réinventer et souhaite susciter la création.
Le pari est remporté grâce à la scénographie immersive signée 1024 architecture. Pier Schneider et François Wunschel n’ont pas été choisis par hasard. Concevoir des installations pour donner vie aux shows de musique électronique fait partie de leur ADN. Le cube lumineux (Square Cube, 2007) d’Etienne de Crécy, c’est eux. La spectaculaire installation VTLZR pour Vitalic (2012), c’est encore eux. Autant dire qu’ils ont ici œuvré en terrain connu. Les deux architectes ont convoqué leur matériau de prédilection, l’échafaudage, pour fabriquer l’ossature brute et sans fard de cette « Expo Electro », animée par des lumières mouvantes. Exit les traditionnelles cimaises, le duo a reconstitué une architecture éphémère, offrant un support particulièrement approprié aux œuvres, écrans et autres incroyables trésors à (re)découvrir dans cette exposition. L’immersion du public passe également par la musique avec une bande son spécialement conçue par Laurent Garnier qui a réalisé onze mix inédits pour l’événement.
Sans parcours imposé, on déambule dans cette « Expo Electro » comme dans une rave, à l’instinct. Dans cet environnement immersif qui happe le visiteur, on découvre les œuvres prêtées par les artistes ou celles spécialement conçues pour l’événement comme le studio imaginaire de Jean-Michel Jarre, les vidéos projetées en 3D de Kraftwerk, l’univers fictionnel de Daft Punk inspiré par le clip de « Technologic » ou encore l’installation numérique CORE de 1024 qui réagit à la musique.
On retrouve les villes emblématiques de la musique électronique comme Detroit, Berlin ou Chicago. On découvre des instruments stupéfiants, on s’attarde sur la gestuelle des DJ, les dancefloors extatiques des rave-parties ou les vinyles signés par des artistes. On prend conscience de la portée politique du mouvement quand il s’agit de porter le combat des minorités. On se réjouit de l’émergence d’une scène féminine qui a enfin réussi à s’affirmer. Les œuvres d’Andreas Gursky, Keith Haring, Claude Lévêque ou encore Xavier Veilhan côtoient le son de Jeff Mills, Jacques, Arnaud Rebotini ou Molecule. Car si les BPM ont le premier rôle dans cette exposition, l’électro est également racontée à travers sa dimension esthétique, visuelle et sociale. Ou comment mesurer la richesse d’un mouvement musical parfois sous-estimé qui, en perpétuel renouvellement, a de toute évidence encore beaucoup à dire.
> Expo Electro, jusqu’au 11 août 2019. Philharmonie de Paris. 221 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris