Kapwani Kiwanga, nouvelle star de l’art contemporain entre réalité et fiction

L'artiste canadienne vient de remporter le vingtième prix Marcel Duchamp. IDEAT vous fait découvrir son univers fait d'installations, performances, photos et vidéos qui fouillent la mémoire des luttes anticoloniales et les systèmes de croyances.

Une dizaine de bouquets sont posés sur des socles blancs. Ils se veulent la copie de ceux qui fleurissaient les cérémonies solennelles liées à l’indépendance des 54 pays africains. Kapwani Kiwanga les compose en s’appuyant sur des documents d’archives ou des photographies de presse. Réunies sous le titre Flowers for Africa, ces gerbes parfumées deviennent les symboles de moments historiques, la subjectivité de la mémoire étant matérialisée par la fragilité de ces assemblages voués à la décomposition.

Flowers for Africa rappelle la subjectivité de la mémoire, sa durée éphémère, surtout lorsque le discours officiel déforme les faits.
Flowers for Africa rappelle la subjectivité de la mémoire, sa durée éphémère, surtout lorsque le discours officiel déforme les faits. © Centre Pompidou

Une réécriture de l’Histoire

C’est au cours d’une résidence au Sénégal, en 2013, que cette artiste de 42 ans, d’origine tanzanienne, née au Canada et vivant à Paris, débute ce projet. Il lui permet de conjuguer sa double formation, sciences sociales et arts visuels, et de répondre à son objectif : déconstruire les récits officiels, en révéler les mécanismes inégaux et réécrire l’Histoire communément admise en tenant compte de la multiplicité des points de vue.

En 2011, elle interprète une anthropologue du futur (elle est elle-même diplômée en anthropologie et religion comparée) lors d’un cycle de performances, « Afrogalactica ». Elle y donne une conférence sur l’histoire des États-Unis d’Afrique, fondés en 2058, soit cent ans après la première Conférence panafricaine, organisée au Ghana en 1958, et convoque la figure du jazzman Sun Ra, qui, en 1974, dans le film Space Is the Place, proposait aux Afro-Américains de s’exiler sur une planète intergalactique plutôt que de subir la ségrégation ! C’est la préfiguration de l’afrofuturisme.

Kapwani Kiwanga, artiste archiviste

En 2014, avec l’exposition « Maji Maji », Kapwani Kiwanga évoque le soulèvement des tribus du Tanganyika (actuelle Tanzanie) contre les colons allemands, au début du XXe, une rébellion qui s’acheva dans un bain de sang. Pour retracer cette tragédie, dont il ne subsiste que la légende, l’artiste a conçu un système de rayonnages sur lesquels elle a déposé les témoignages tangibles, objets trouvés et vidéos, et laissé vides les cases accueillant les croyances. Kapwani Kiwanga, une artiste archiviste.

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Déconstruire les récits officiels et réécrire l’Histoire est au centre du travail de l’artiste.
Déconstruire les récits officiels et réécrire l’Histoire est au centre du travail de l’artiste. © Centre Pompidou
Kapwani Kiwanga, sociologue et plasticienne, propose « des stratégies de sortie », soit une nouvelle manière d’envisager l’avenir, en se basant, pour commencer, sur les faits historiques et non sur les croyances.
Kapwani Kiwanga, sociologue et plasticienne, propose « des stratégies de sortie », soit une nouvelle manière d’envisager l’avenir, en se basant, pour commencer, sur les faits historiques et non sur les croyances. Manuel Braun