Jet lag : entretien avec le galeriste Kamel Mennour

Rencontre avec l'un des galeristes incontournables de Paris.

À la tête de cinq espaces d’exposition, dont quatre à Paris et un à Londres, où s’affaire une cinquantaine de collaborateurs, le galeriste Kamel Mennour est l’un des plus en vue de la scène parisienne. Au départ très portée sur la photographie (Araki, Stephen Shore…), la programmation s’est depuis 1999 peu à peu réorientée sur un art contemporain exigeant, mêlant travaux d’artistes émergents (Neïl Beloufa, Camille Henrot, Latifa Echakhch…) et œuvres de figures internationales (Douglas Gordon, Bertrand Lavier, Tadashi Kawamata…). Pour promouvoir ses artistes, l’homme s’est aussi engagé dans la production d’œuvres monumentales présentées hors les murs.


IDEAT : Le voyage fait partie du métier de galeriste : un plaisir ou une nécessité ?

Kamel Mennour : Un peu les deux. Notre activité nécessite aujourd’hui d’être présent dans de nombreuses foires à travers le monde. Mais le fait d’aller à la rencontre de nouveaux collectionneurs pour transmettre et partager les valeurs de nos artistes est toujours très plaisant et motivant.

IDEAT : La foire où vous préférez vous rendre ?

Kamel Mennour : Indéniablement la foire d’art suisse Art Basel, qui a la particularité de se trouver dans une ville relativement à l’écart des grandes dynamiques artistiques comme peuvent l’être New York, Londres ou Paris. Cependant, à Bâle, il y a une concentration d’excellence et d’exigence particulièrement stimulante, assez unique. Je constate comme un paradoxe entre la taille de cette ville et le fait de pouvoir y croiser les personnes les plus averties au monde en matière d’art contemporain.

IDEAT : Dans votre bagage, vous n’oubliez jamais…

Kamel Mennour : Mes chemises blanches. Je n’aurais pas l’impression d’être au point si je n’avais pas mes chemises blanches dans ma valise. J’en prends d’ailleurs toujours un peu plus que nécessaire, au cas où…

IDEAT : Avez-vous des rituels quand vous voyagez ?

Kamel Mennour : Au début de ma carrière, j’ai dû rater deux ou trois avions, car je voulais absolument régler des problèmes de dernière minute à la galerie. Maintenant, je pars systématiquement trois bonnes heures à l’avance pour éviter tout stress. Et j’en profite pour travailler dans le lounge, notamment les e-mails en retard.

IDEAT : Avion ou train ?

Kamel Mennour : Voyager en train offre un formidable moment pour méditer, réfléchir et, bien sûr, regarder défiler le paysage. Un voyage en train, c’est le concept même du temps qui à la fois s’étire et s’arrête.

IDEAT : Êtes-vous plutôt voiture ou deux-roues ?

Kamel Mennour : Lorsque je n’emprunte pas les transports en commun, je me déplace en voiture. J’ai eu un gros accident de scooter qui m’a rendu assez méfiant concernant ce véhicule, qui est très exposé au trafic. Je n’ai, par ailleurs, jamais pris de Velib’, car j’ai trop peur qu’il m’arrive un pépin.

IDEAT : Pour vos échappées personnelles : grands espaces naturels ou virées urbaines ?

Kamel Mennour : J’aime cette idée de m’échapper dans la nature. C’est indispensable même si, malheureusement, je ne le fais pas assez, car le plus souvent je dois rester une partie du week-end à Paris pour accueillir les clients qui font le tour des galeries.

IDEAT : Du fait des nombreux déplacements professionnels, prenez-vous du plaisir à voyager en famille ?

Kamel Mennour : J’ai cinq enfants et je trouve très important que l’on puisse se retrouver durant des moments privilégiés en famille. Ces voyages sont très différents de ceux organisés pour le travail. Beaucoup plus « roots ». C’est très souvent ma femme qui choisit les destinations. Nous partons dans des endroits qui me permettent de décrocher de mon activité de galeriste. Par exemple, au Maroc, nous allons à Agadir. À Marrakech, j’ai tous mes clients et je n’arrêterais sans doute pas de travailler. Agadir, c’est la déconnexion, la mer… Je remercie ma femme de me protéger de ce travers.

IDEAT : Votre destination préférée pour des vacances en famille ?

Kamel Mennour : Nous nous rendons régulièrement à Cap-d’Ail (près de Monaco, NDLR). C’est un village de bord de mer que j’aime beaucoup pour son authenticité. C’est à la fois la Côte d’Azur, avec son charme unique, et totalement en dehors des clichés de cette destination.

D’une manière générale, plutôt mer (baignade et soleil) ou montagne (neige et ski) ?

Kamel Mennour : Les deux. Ma femme est originaire de Munich et skie en Autriche depuis son enfance. Nous disposons d’une maison où nous pouvons nous rendre lorsque nous le souhaitons. Mais comme je le disais auparavant, on aime aussi beaucoup se rendre sur la côte, dans le sud de la France.

« Je me suis retrouvé dans le même avion que Daniel Buren et notre échange a duré douze heures. Jamais je n’aurais pu imaginer représenter un artiste tel que lui… »

Une ville qui vous fascine et où vous aimez retourner… et retourner ?

Kamel Mennour : J’aurais pu dire Agadir, car j’y vais très souvent, mais je choisis tout de même Rome parce que c’est la Ville éternelle. À chaque fois que je m’y rends, j’ai le sentiment que rien n’a bougé depuis des siècles et que ce sera encore ainsi pendant longtemps.

Les choses auxquelles vous prêtez attention pour choisir une destination ?

Kamel Mennour : Ce n’est pas une chose, mais une personne. Et vous l’aurez compris, c’est ma femme ! Dans mon métier, je dois sans cesse prendre des décisions. Pour les vacances, je lui laisse un total droit de regard. Si elle est heureuse, alors je suis heureux. Dans notre vie, on s’est partagé les choix et chacun respecte celui de l’autre. Et même si l’on se trompe parfois, ça n’est pas grave, car il faut savoir accepter de se tromper.

Un repas qui vous évoque une destination en une seconde ?

Kamel Mennour : Ce sont les repas pris au Japon, dans les restaurants où l’on vous installe, plutôt au dîner, dans un salon au sol en tatami. Au préalable, on doit se déchausser avant de glisser ses jambes dans un renfoncement dans le sol, sous une table basse. Ce moment et, évidemment, ce dispositif – hori-gotatsu – me rappellent immédiatement que je suis en voyage. Avant la pandémie, j’allais au moins deux fois par an au pays du Soleil-Levant pour rencontrer les artistes que je représente – Lee Ufan, Araki ou Daido Moriyama –, mais le contexte sanitaire fait que ça n’est pas possible actuellement. Cela me manque beaucoup.

Un mets ou un plat qui vous fait voyager ?

Kamel Mennour : La pizza napolitaine. Mais il faut absolument qu’elle soit de Naples. Je peux prendre un avion pour aller en manger une. Tu la paies rien du tout. Et quel kif !

Votre destination absolue pour voir de l’art ?

Kamel Mennour : L’île de Naoshima et l’incroyable dispositif artistique mis en œuvre par le collectionneur Soichiro Fukutake. Au Japon, cette île et, désormais, l’archipel auquel elle appartient constituent une destination en soi, dont le cheminement pour l’atteindre contribue déjà à l’émotion que l’on va éprouver.

Une destination/un lieu pour décompresser ?

Kamel Mennour : Le château La Coste, entre Aix-en-Provence et le Luberon, de l’entrepreneur et collectionneur Paddy McKillen, qui a conçu un lieu unique en France : un domaine viticole doté d’une formidable collection de sculptures en plein air, d’un hôtel, de restaurants… – qui est une vraie bulle de décompression. C’est à la fois très sophistiqué et très simple.

Si vous ne deviez retenir qu’un seul hôtel ?

Kamel Mennour : Le Carlyle, à New York. J’y descends à chaque fois que je m’y rends. Jusqu’à récemment, les ascenseurs y étaient actionnés par des liftiers et je trouvais cela charmant. Je ne suis pas très New York, car cette ville va trop vite. Mais le Carlyle a ce côté « vieille dame » qui me convient bien.

Votre livre de référence sur le voyage ?

Kamel Mennour : Le livre d’Annie Cohen-Solal sur la vie du galeriste new-yorkais Leo Castelli. Elle raconte le départ de cet Italien de Trieste vers Paris d’abord, puis vers New York, pour fuir le nazisme. L’histoire d’une migration qui va permettre à cet homme de devenir l’immense galeriste que l’on connaît.

Une lecture de voyage ?

Kamel Mennour : Le Monde d’hier, de Stefan Zweig. Je le prends régulièrement avec moi et j’en grignote des passages. C’est un livre autobiographique, totalement prophétique par rapport à ce qui se réalise maintenant concernant la montée des tensions nationalistes. Il aurait pu avoir été écrit hier.

Que rapportez-vous de vos voyages ?

Kamel Mennour : J’ai un côté bon public, donc je rapporte des babioles pour les enfants. Je me garde toujours un peu de temps pour aller chiner deux ou trois choses.

Un musée que vous trouvez essentiel ?

Kamel Mennour : Le Centre Pompidou, tout simplement. Parfois, on va chercher très loin ce que l’on a à portée de main. Ce lieu est tellement évident et indispensable !

Le bâtiment ou la maison de vos rêves ?

Kamel Mennour : Si cela avait été possible, j’aurais aimé acheter la « maison de verre », de Pierre Chareau, dans le VIIe arrondissement de Paris.

Une histoire incroyable/mémorable en voyage ?

Kamel Mennour : Il y a une quinzaine d’années, l’artiste Daniel Buren venait de quitter la Marian Goodman Gallery et je me suis retrouvé dans le même avion que lui, en direction de la Corée. Nous nous étions déjà rencontrés lors d’un dîner quelques mois auparavant. Il me reconnaît et l’on commence à discuter. Et l’échange a duré quasiment tout le vol, soit une douzaine d’heures. J’ai senti que si je ne tentais pas ma chance pour le séduire à ce moment-là, je le regretterai. Je lui ai dit que je serai son meilleur sherpa, arguant qu’il n’avait aucun intérêt à retourner dans une galerie très établie, mais, à l’inverse, qu’il devait miser sur un outsider. Quinze jours plus tard, je recevais un mot de sa part me disant qu’il acceptait de rejoindre la galerie. Jamais à l’époque, je n’aurais pu imaginer représenter un artiste tel que Daniel Buren. Sa venue a sans aucun doute influé sur le devenir de la galerie.

Votre prochaine destination de vacances ?

Kamel Mennour : Le Costa Rica, mais c’est la totale inconnue, ce que je vais voir, où je vais dormir… pour les raisons que j’exposais auparavant. Nous partons cette fois-ci avec une autre famille, qui se charge avec ma femme d’identifier les hôtels, les choses à découvrir, les activités… Je les laisse entièrement faire.