Cette « haute ligne », c’est un ancien chemin de fer aérien qui se métamorphose depuis dix ans, tronçon après tronçon, en délicieuse promenade plantée de graminées et de sculptures contemporaines. Le succès esthétique est tel qu’autour d’elle, c’est l’hystérie immobilière ! Ici, un chef-d’œuvre de Renzo Piano, le Whitney Museum. Là, des condos signés Jean Nouvel, Shigeru Ban et on en passe, l’ensemble composant avec les rayons du couchant sur le fleuve Hudson la plus saisissante des symphonies urbaines. Non, le 11 Septembre n’a pas coupé les élans des grues new-yorkaises qui regardent toujours plus haut : le One57, dessiné par Christian de Portzamparc, toise Central Park de ses 306 mètres, le 56 Leonard d’Herzog et de Meuron domine tout TriBeCa et le 432 Park Avenue, tour effilée de Rafael Viñoly livrée l’an dernier, dépasse carrément l’Empire State Building. Manhattan est une île résiliente : elle rebondit à tout-va.
Dernière blessure en date, l’ouragan Sandy qui ravagea en 2012 ses rivages sud. Qui aurait parié que, quatre ans plus tard, le quartier de Seaport, le plus touché, deviendrait une place to be de la mode ? Ont bourgeonné là un chausseur pointu (Brother Vellies), une échoppe de stylistes dans le vent (les sœurs Okpo), un as des blousons en cuir (Christian Benner), alors que l’ultrachic 10 Corso Como, le Colette milanais, y ouvrira une antenne en 2017, dans l’ancienne halle de Fulton Market. Pas mal pour une zone inondable coincée entre les financiers de Wall Street et les terminaux portuaires, dont les pavés n’avaient pas vu l’ombre d’une Louboutin jusqu’ici !
Cette Manhattan frénétique, bulldozer avide de terres à gentrifier, l’agent d’artistes Alaina Simone ne la regarde pas d’un œil candide, se méfiant du frémissement bobo qui parcourt son Harlem adoré. « En tant qu’Afro-Américaine, il m’est important de vivre ici, dans ce haut lieu de la lutte des Noirs, affirme cette trentenaire très stylée. Harlem reste le New York du jazz et des messes gospel, le New York où les gens modestes – les Blacks d’ici, mais aussi les nouveaux arrivants, éthiopiens ou mexicains – peuvent encore se loger et manger pour 6 dollars. Alors quand je vois l’un de mes bars fétiches, où l’on dansait sur du hip-hop et du R’n’B, se mettre à passer de la country et à augmenter ses prix, forcément, ça m’énerve ! »
Harlem, pourtant, demeure l’une des destinations nocturnes les plus grisantes, à mille lieues des parties guindées et « sur liste » qui sont légion en bas de la ville. Il faudra musarder d’abord vers les townhouses de briques de Hamilton Heights, où les gastro-bars The Hogshead ou The Grange s’ébrouent à l’apéritif, avant d’aller dîner chez Solomon & Kuff, rhumerie à la fine cuisine caribéenne qui mute en dancefloor survolté et cosmopolite jusqu’à pas d’heure. « Les jeunes qui débarquent à New York en 2016 sont aussi excités que je l’étais il y a trente ans », constate Jean-Marc Houmard, né en Suisse et patron, entre autres, d’Indochine depuis trente ans, un resto-bar chéri des people où Warhol et Basquiat bambochaient déjà. « Je me souviens, raconte le noctambule, de ces night-clubs des années 80, cachés entre les abattoirs louches de Meatpacking District, qui nous donnaient la sensation d’être aux avant-postes de la nuit. Aujourd’hui, dès qu’un nouveau lieu apparaît, tout le monde est au courant le soir même ! Mais la ville n’en est pas moins exaltante. » Une ville toujours à même d’exciter l’imagination et qui procure encore l’ivresse des hauteurs.