C’est le designer dont tout le monde parle ce printemps. L’Argentin Andres Reisinger a fait sensation en mars dernier en vendant aux enchères des meubles virtuels pour une somme record grâce au nouveau système des NFT qui permettent d’authentifier une œuvre numérique. Parmi cette collection figure un fauteuil baptisé Hortensia, qui a largement contribué à la renommée de son designer. Quand il l’a posté sur Instagram, il a non seulement récolté des centaines de milliers de likes mais aussi des commandes fermes de personnes qui voulaient installer cette création – à l’origine purement numérique – chez eux. Voilà comment ce designer plus rompu à la palette graphique qu’au stylo a décidé de lui donner vie grâce à la designer textile Júlia Esqué. Interview croisée.
Andres, vous êtes né en Argentine. Quel a été votre parcours jusqu’à Barcelone où vous êtes aujourd’hui installé ?
Andres Reisinger : Enfant, j’étais un de ces gosses qui passait son temps sur son ordinateur. A 10 ans, j’étais particulièrement intéressé par le fait de créer avec un ordinateur plutôt que de jouer à des jeux video par exemple. Ensuite, j’ai commencé à étudier le design graphique à Buenos-Aires mais j’ai laissé tomber car je trouvais la formation trop logique, trop traditionnelle pour ce que je voulais faire. J’ai alors beaucoup expérimenté avec différents outils informatiques. J’ai créé des petits jeux, juste pour comprendre comment fonctionnaient les choses. C’était très brouillon… Ensuite, j’ai commencé à appliquer ce que j’avais appris à l’école de design. C’est à ce moment que j’ai commencé à créer des objets, des décors joueurs et expérimentaux. J’ai commencé à travailler pour des compagnies en Europe, mais c’était difficile de le faire depuis Buenos-Aires. J’ai donc décidé de partir à Madrid puis j’ai déménagé à Barcelone, où j’ai rencontré Julia qui partageait un studio voisin du mien.
Julia, vous êtes en revanche une pure Barcelonaise…
Júlia Esqué : Je suis une designer née et basée à Barcelone, où je travaille pour des projets de mobilier et d’éclairage après avoir collaboré avec le New-Yorkais Stephen Burks pendant cinq ans et passé un master à l’Ecal à Lausanne. Je suis très attirée par les objets souples, les textiles, faciles à prototyper et avec lesquels il peut arriver des choses inattendues. Ma façon de travailler est à l’opposé de celle d’Andres qui n’utilise que son ordinateur. Bien sûr, je m’en sers parfois, mais jamais pour obtenir un rendu final, plutôt pour mieux comprendre les matériaux. Jouer avec mes mains m’amène à prendre des décisions auxquelles je n’aurais jamais pensé sinon. Quand il a voulu matérialiser Hortensia, Andres a fait appel à moi…
Un véritable challenge
Comment a démarré ce projet Hortensia ?
Andres Reisinger : J’aime créer sans contraintes ni critiques. A l’été 2018, je faisais ma routine sur mon ordinateur, essayant d’assembler des formes, d’expérimenter, quand je suis parvenu à ce qu’est l’Hortensia aujourd’hui. Je me souviens que j’essayais d’exprimer un sentiment floral mais sans être trop littéral. Je jouais avec différentes textures, différentes approches pour la surface. J’ai réalisé que je tenais quelque chose, qu’il fallait continuer à travailler.
Vous créez beaucoup de meubles virtuels. Pourquoi avoir choisi de donner vie à ce fauteuil en particulier ?
Andres Reisinger : Quand j’ai posté l’Hortensia sur Instagram, cela a créé non seulement beaucoup d’attention mais aussi de vraies demandes d’achat. Tous ces gens qui aimaient cette assise, c’était irrésistible… La chaise créait sa demande, sa valeur. C’est pourquoi je l’ai choisie. Ceci-dit, cela a été un véritable challenge de la matérialiser.
Grâce à l’aide de Julia…
Andres Reisinger : Dès l’origine de l’Hortensia, on échangeait des idées à son sujet, mais de façon informelle. A partir du moment où j’ai commencé à visiter des ateliers pour la fabriquer, beaucoup de gens m’ont dit que sa réalisation était impossible ou que la durée de Recherche & Développement allait être très longue et coûteuse. C’était vrai… Je me suis dit que Julia était la seule personne à même de faire ce travail. C’est la personne en laquelle j’avais le plus confiance. Elle peut créer quelque chose à partir de rien et la rendre belle. En plus, elle a le process industriel en tête. Ce fauteuil étant très difficile à fabriquer, je lui ai dit que j’avais besoin de son aide…
Une Hortensia légère, vaporeuse, duveteuse…
Alors Julia, comment avez-vous procédé pour « rendre possible l’impossible » ?
Júlia Esqué : Cela a duré plusieurs mois… J’ai commencé par suivre mon intuition. Quand nous imaginions l’Hortensia avec Andres, nous la voyions dans une pièce baignée de lumière avec la fenêtre ouverte et une brise qui faisait bouger ses pétales. Nous avons d’abord réalisé qu’il fallait travailler avec deux textiles différents : un vaporeux pour les pétales et un autre, plus rigide, pour la structure couvrant le volume du fauteuil. Il fallait aussi conserver le côté aléatoire que l’on trouve dans la Nature. Au début, nous avons pensé à des pétales individuels à coudre sur la structure, mais cela allait prendre trop de temps. Nous avons donc planché sur des bandes recouvertes de pétales, plus faciles à assembler. Nous avons beaucoup planché sur la matière des pétales. On comparait sans cesse l’image virtuelle avec nos résultats, pour coller au plus près à la création initiale d’Andres. Avec ses accoudoirs pleins de pétales, on a vraiment l’impression de s’allonger dans un champ de fleurs…
Un confort amélioré
Quand Moooi est-il entré dans le jeu ?
Andres Reisinger : En décembre 2019, nous avons montré le premier prototype de l’Hortensia durant quelques heures dans une galerie barcelonaise. Juste pour voir la réaction des gens qui la découvraient. Ce fut un moment très important, nous étions terrifiés… Ensuite, nous sommes rentrés en contact avec Rossana Orlandi, qui a accepté de représenter la Hortensia. Quinze jours après le premier e-mail, nous étions dans sa galerie milanaise… Cette étape a légitimé nos trois années de travail. Elle a adoré la chaise et l’a montrée dans beaucoup d’endroits. Puis j’ai commencé à discuter avec Marcel Wanders, le fondateur et directeur artistique de Moooi, afin de créer une version de l’Hortensia accessible à un public plus large, car elle était extrêmement chère : il fallait beaucoup de temps pour l’assembler et nous le faisions nous-mêmes avec beaucoup d’artisans différents. Nous avons mis au point une fabrication dans une optique industrielle avec l’expérience et le savoir-faire de Moooi en la matière.
Júlia Esqué : J’ai utilisé la même méthode de bandes cousues de pétales mais nous avons amélioré pas mal de choses dont le confort. Les premiers exemplaires étaient fabriqués avec une structure en bois et de la mousse sculptée. Moooi utilise un cadre en métal et de la mousse injectée. Cela change tout…
Andres Reisinger : Quand nous travaillions avec Julia sur les pétales , nous avions une version nue de la Hortensia et nous la trouvions déjà très belle avec son sourire. Quand nous avons discuté avec Moooi, on s’est dit que ce serait sympa d’ajouter des versions sans pétales, simplement recouvertes d’un tissu. Elle possède un caractère singulier.
> Le fauteuil Hortensia existe en rose ou en gris anthracite (5 000 €), mais aussi sans pétales dans tous les tissus de la gamme Moooi (à partir de 2 651 €).