Le delta de la rivière des Perles est le cadre d’un tableau dont on ne se lasse pas. Les ferries y glissent sur un miroir de soie dans lequel se renversent les gratte-ciel. Un éclat de soleil sur la pointe des tours dévoile dans le ciel l’œuvre qu’Antony Gormley a parsemée dans la cité : 32 sculptures d’hommes immobiles, dont certains sont penchés au sommet de ces flèches, et si réalistes qu’elles ont déclenché des appels au secours ! L’une d’elles, dressée au fronton du City Hall, démontre combien la puissante mégapole infuse de l’art à la ville, à quelques jours de la prochaine édition d’Art Basel Hong Kong (ABHK). Cet élan se perçoit dans les galeries plus que dans l’agglomération, pauvre en musées. Toutefois, le M+ signé Herzog et de Meuron, dédié aux arts visuels, est en chantier à Kowloon. Zaha Hadid, elle, est chargée du futur campus universitaire. Pomponner l’arrière-cour fait partie du programme et ce n’est pas du luxe – la célèbre Maison bleue (l’une des dernières tong lau, ces immeubles anciens aux balcons typiques, NDLR) est en piteux état. Canny Ma, responsable du design urbain, révèle à ce propos : « Depuis cinq ans, nous rénovons notre héritage afin d’en préserver au moins la sensation. Nous classons les bâtiments emblématiques des années 1900 à 1960, nous avons transformé le centre militaire en centre culturel et nous faisons de même avec la Central Police Station. » Détruire pour reconstruire, c’est du passé. Mais l’île de 7 millions d’habitants étant pleine comme un œuf, c’est dorénavant sur celle de Lantau, à l’ouest, ou vers Kwun Tong, à l’est, ainsi que sur le front de mer, que le gouvernement trouve le mètre carré disponible. Tout comme il tend des ponts vers Macao et multiplie les échanges avec la flamboyante et limitrophe Shenzen. Un « grand Hong Kong » se profile ! Pendant ce temps, dans Central – le quadrilatère smart rythmé par Chanel, Joyce et des horlogers de prestige –, la saison des mondanités bat son plein. Sur la dreamlist : les solo shows d’artistes bankables proposés par les mastodontes d’envergure internationale installés aux plus hauts étages de bâtiments interminables. Une foule se presse dans le Pedder Building, à la Gagosian Gallery, pour scruter le monde artificiel de Giuseppe Penone, avant de jouer des coudes à l’Entertainment Building, dans la Pace Gallery, où les travaux de Maya Lin font le buzz. Trend-setters, collectionneurs, avocats d’affaires soutenant leur girlfriend montée sur talons aiguilles, riches et très riches flairent autant la tendance sur ces cimaises que l’état du marché. Si bien que, devant un parterre de costumes bespoke bleu foncé religieusement concentrés, les managers des galeries vantent la vie et l’œuvre de l’artiste comme une action cotée en Bourse.
Les dragons inconnus de l’Asie
Mais on ne boude pas notre plaisir à explorer ces lieux exceptionnels tant par leur taille que pour la vue qu’ils offrent sur la skyline. À un bloc de là, Emmanuel Perrotin occupe depuis 2012 le 17e étage du 50 Connaught Road : 600 m² dessinés par le Hongkongais André Fu. Terry Richardson et ses clichés grunge s’y affichent, mais 20 % d’artistes asiatiques sont aussi au programme affirme l’attaché de presse : « Nous avons bien plus de clients asiatiques que d’Occidentaux. La marque Art Basel draine un énorme business et fait tripler les visites. Sans réaliser forcément du chiffre, on engrange des contacts. Hong Kong abrite énormément de jeunes fortunés qui démarrent des collections. Nous leur soumettrons des pièces d’Elmgreen & Dragset à 2 000 US dollars, qui sont adaptées à leur âge et à leur bourse. » Ces parquets blonds sont bien loin des ruelles grouillantes de vie qui survivent à l’ombre de ces architectures démentielles. Loin aussi des quartiers industriels de l’Est, comme Fotanian. Là-bas, une centaine d’artistes expérimentent dans de vastes ateliers réhabilités par l’Arts Development Council. « Un vivier de futures stars qui peuvent y créer de grands formats », précise Connie Lam, tête chercheuse de l’Arts Centre, ouvert en 1977 – et doté d’un cinéma, cadeau de la créatrice de mode Agnès b. ! Béret vissé sur le crâne, Connie Lam occupe un bureau directorial dynamité par les papiers et les œuvres d’art : « L’Arts Centre est public, avec une école ouverte à des disciplines comme le cinéma, une galerie et une résidence d’artistes. » Un incubateur aux yeux des jeunes pousses, car l’institution s’implique à chaque édition d’Art Basel. « Cette foire rend nos arts plus visibles et crée un flux considérable de collectionneurs. Nous présentons par exemple des photographes impressionnants de ce côté du globe, mais défendus par des galeries inconnues. Ces niches, comme Gallery Exit ou Ora-Ora, sont tenues par des Hongkongais et se battent pour exister. » C’est aussi le cas de Soho 189, située à Sheung Wan. Ces galeries ont fui le centre, hors de prix, au risque de la marginalisation, « mais ainsi, toute la ville est irriguée », relativise Connie Lam. La petite superficie de Hong Kong, son statut de place financière et de porte de communication entre l’Est et l’Ouest… autant d’avantages qui ont décidé en 2013 la mythique foire Art Basel à se déployer dans la mégapole, si chinoise et si européenne à la fois. Si Hong Kong est à plus de douze heures de vol de l’Europe (contre à peine quatre heures du Japon), sa situation géographique en fait un carrefour propice à l’expansion de l’art contemporain. La franchise ABHK y cultive sa particularité : moins autocentrée sur l’Occident, octroyant aux challengers japonais, coréens, chinois, indonésiens et taïwanais une place confortable.
Passionnés au rendez-vous
La foire est d’ailleurs déjà considérée comme la meilleure du continent avec la présence de 50 % de galeries régionales. « Nous en avons accepté trois de plus cette année », confie Adeline Ooi, nouvelle directrice de l’événement, qui poursuit : « Nous offrons notre propre sélection, d’une qualité très élevée, en encourageant l’exploration en profondeur, les talents débutants ou jamais vus. Exposer ici est le plus beau jour de la vie d’un artiste, car il voyage ainsi vers d’autres cultures. » D’autant, prévient notre interlocutrice, qu’« une galerie importante à New York n’aura pas la même aura. Problèmes de langues, rituels d’échanges très subtils et règles non écrites, les galeries occidentales doivent se remettre en question pour conclure une vente, peut-être, la fois suivante. Le marché est neuf. La culture, l’idée de collection, n’ont explosé qu’avec Internet ! » Les collectionneurs d’Asie mettent donc les bouchées doubles. Au Convention and Exhibition Centre, la dernière édition a accueilli 233 galeries de 37 pays et 60 000 visiteurs. Dès l’ouverture, l’Américain David Zwirner s’est séparé de Dead Monkey – Sex, Money and Drugs, de Chris Ofili, pour 2 millions de dollars US, récidivant deux minutes plus tard avec une œuvre de Neo Rauch vendue 1 million de dollars ! Selon Artprice, le chiffre d’affaires d’ABHK avoisinerait 6 milliards de dollars US. En revanche, la profonde crise économique en Chine complique l’édition 2016. « On n’attend ni fièvre ni rush », confirme Adeline Ooi, qui prédit des dépenses raisonnables et sélectives, « mais les passionnés seront au rendez-vous pour s’immerger dans cette énergie, se retrouver dans de nouveaux restaurants… » L’effet collatéral étant effectivement que les lieux à la mode fleurissent sous les pas des nomades de luxe de l’art, et parmi eux, ces adresses bizarres perdues dans des jungles industrielles pittoresques. Au seuil de buildings décatis, des bodyguards veillent sur les limousines tandis qu’au niveau des penthouses, les happy few se ruent sur une cuisine « secrète » ouverte exclusivement aux amis. Privatisée trois mois à l’avance, la réservation coûte amicalement 1 500 US dollars en plus des 200 dollars réglés par chaque convive qui, clandestinité oblige, apporte aussi son château-margaux. Un monte-charge l’y débarque dans un couloir orné de poubelles que les cerveaux refusent pourtant de voir. Puis, s’ouvre un espace brut de décoffrage avec chambres froides à l’unisson de la température de la salle. On s’y sert à la bonne franquette alors que, chez soi, on ne compte plus les grands crus, le personnel stylé et les œuvres de Damien Hirst ou de Jeff Koons. S’encanailler ici a un petit goût des Années folles, comme si Hong Kong profitait à fond de la vie, de sa liberté, avant le raccordement définitif à la République populaire…
Y aller
Cathay Pacific Compagnie internationale de Hong Kong, classée 5 étoiles (Skytrax), Cathay Pacific assure toute l’année une rotation quotidienne directe Paris – Hong Kong, avec une fréquence hebdomadaire de 10 vols au départ de Paris. Depuis Hong Kong, des comptoirs d’enregistrement aux stations de l’Airport Express (MTR) pour l’aéroport, situées à Central et à Kowloon, permettent d’enregistrer les bagages et d’obtenir sa carte d’embarquement de 90 min à 24 h avant le départ du vol. Enfin existent 6 salons d’attente à Hong Kong signés Foster + Partners dont The Pier, bientôt ouvert, et décoré par Ilse Crawford.
Bon à savoir
> Se déplacer en taxi : demandez à ce qu’on vous écrive en chinois
les destinations où vous souhaitez vous rendre.
> Décalage : + 7 h environ.
> Tour artistique : inscriptions auprès de l’office de tourisme pour un Art Basel Tour par groupes de 20 personnes environ. Sur le site de l’office, cliquer sur Arts et spectacles pour découvrir le Jockey Club Creative Arts Centre, le Fringe Club (théâtre et arts visuels), le Hong Kong Arts Centre avec galeries et cinémas.