Qu’il paraît loin le temps où Harry Nuriev débarquait de Moscou pour installer son appartement-atelier à Paris, rue des Beaux-Arts, au cœur de Saint-Germain-des-Prés – c’était pourtant en 2022. Il se faisait alors le chantre du métavers et multipliait les expériences immersives, dans la réalité comme sur le digital.
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Harry Nuriev, la force tranquille
Certains le découvraient grâce au Crosby Café, installé dans le concept store Dover Street Market, dans le Marais, dont le mobilier bleu électrique entamait un discours novateur avec cet hôtel particulier du XVIIe siècle. D’autres le rencontraient à La Louisiane, durant la Paris Design Week, où il occupait la chambre-rotonde du mythique hôtel du VIe arrondissement parisien, qu’il avait meublée d’un lit rose framboise, tout comme la moquette et les murs pixélisés.

Dans les deux cas, le designer brillait par sa maîtrise de la couleur, capable selon lui de changer la vision que nous avons d’un objet. Depuis la création de son agence, Crosby Studios, en 2014, à New York, on se souvient également de son canapé, réalisé en collaboration avec Balenciaga pour la foire Design Miami 2019, où, toujours à la frontière de l’art et du design, il avait rempli la structure transparente de l’assise avec des vêtements et des étiquettes de la marque, ou de sa lampe Headlight, fabriquée à partir de phares de voiture.
Harry Nuriev ne décore pas, il « habille les intérieurs » et clame, d’une voix qui paraît pourtant chuchoter, que les disciplines sont liées. Art, mode, design ou architecture sont unis par les liens sacrés de la création. Pourquoi ne pas pousser le design dans cette direction ? Donner la possibilité de se meubler comme on se vêt ? Réinventer les codes, ajouter des accessoires, transformer la fonction d’un objet ? C’est ce à quoi il s’attelle, à travers le « transformisme », une notion « qui ne cesse d’évoluer, explique-t-il. C’est un voyage où l’on n’arrête pas d’apprendre ».

Trois ans plus tard, la première galerie permanente de Crosby Studios est installée dans cette même rue des Beaux-Arts du VIe arrondissement de la capitale, et le mot transformism s’annonce fièrement en lettres capitales sur la vitrine. À l’intérieur, des miroirs encadrés de claviers noirs d’ordinateurs reflètent le chandelier composé d’une centaine de stylos Bic.
Réinventer le familier
Dans un coin, une sphère en cristal Baccarat rappelle l’une des dernières collaborations de l’artiste avec la maison : ici, un lustre noir composé de câbles électroniques entremêlés, là, un immense pouf tapissé d’un patchwork de T-shirts. Devant un jeu de backgammon composé de bouchons de bouteilles en plastique diverses ou de capsules siglées, difficile de ne pas sourire. Si le jeune quadragénaire réfute la notion de « DIY » ou d’upcycling, il ne peut renier ses liens avec les surréalistes.

Un couvercle de casserole posé en majesté sur un mur « a pu choquer quelques visiteurs », admet en riant le responsable de la boutique. Même les étudiants de la célèbre école du bout de la rue viennent en nombre découvrir ce concept immersif à l’ambiance hyperfuturiste. Il n’est donc pas étonnant que les détournements soient légion dans l’espace qu’Harry Nuriev a pensé dans l’Évêché de Toulon, où, chaque année, le designer prend ses quartiers et crée une scénographie à son image.
« C’est un lieu moins dynamique que mes travaux précédents, explique-t-il. On pourra y méditer et se relaxer bien que tout soit noir et blanc et gris avec quelques touches de rouge. » Dans quatre espaces, ce natif de Stavropol, en Russie, compte bien prouver aux visiteurs « qu’aujourd’hui, on doit travailler à partir d’objets qui existent déjà, en apportant une autre signification, un autre but, à des choses qui nous étaient familières ».

Même exigence sur la lecture des candidatures au concours Design Parade Toulon, qu’il a examinées à travers le prisme du « transformisme » : « La plupart du travail retenu est basé sur une réutilisation de la nature, des matériaux modernes ou de la mode. C’est une excellente année pour quiconque aime et se soucie de l’idée de “réimaginer” son environnement. »
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