Xavier Franceschi nous avait donné rendez-vous à l’angle de la 62e et de la 21e rue. Bien loin de New York en vérité. Dans le « 9-3 », à Romainville, à l’entrée du bâtiment flambant neuf du FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Île-de-France, dont il est le directeur depuis 2006.
« C’est le dernier des FRAC à ne pas avoir de réserves, explique-t-il. Cela fait vingt cinq ans que nous cherchons un lieu, même si nous profitions du Plateau – un espace de création de 450 m2 dans le XIXe, à Paris – et du château de Rentilly, en Seine-et-Marne – transformé entre autres par l’artiste Xavier Veilhan. Nous connaissions le site de Romainville. La rencontre avec la Fondation Fiminco et son désir d’y installer un pôle culturel international ont servi de déclencheur. » Confié à l’agence Freaks freearchitects, le nouveau bâtiment – qui s’appelle désormais Les Réserves – devait répondre à deux impératifs : abriter les collections et accueillir le public. Pour avoir travaillé sur la MÉCA (Maison de l’économie créative et de la culture, à Bordeaux), les architectes connaissaient leur sujet.
Un lieu simple et fonctionnel
Ils ont ici imaginé un grand rectangle de béton de 75 mètres de long sur 14 mètres de large, d’une superficie de 2 000 m2 répartis sur trois niveaux. Un lieu simple et fonctionnel avec, au centre, des espaces vitrés pour accueillir le public et exposer les œuvres et, sur les côtés, d’immenses plateaux de hauteur variable selon l’étage, prévus pour recevoir dans ce laboratoire d’art, les quelque 2 000 pièces de la collection. « Pour optimiser les zones de stockage, nous avons fait reposer les planchers sur des poteaux en façade de 41 cm d’épaisseur, précise Guillaume Aubry, l’un des architectes. Aucun encombrement, une circulation fluide à l’intérieur et des espaces d’exposition maximisés grâce à un système de cimaises mobiles. »
Le FRAC répond également aux normes de la RT (réglementation thermique) 2012, qui en fait un bâtiment basse consommation. Il a aussi fallu penser au bon cheminement des œuvres – 3 000 rotations sont prévues chaque année ! Une route adaptée aux camions passe littéralement à travers la construction (le bâtiment Chauveau) pour desservir un quai de livraison comprenant un sas de quarantaine.
Un creuset pour l’art contemporain, le laboratoire d’art
En faisant le tour des lieux et en desservant l’ensemble des édifices, cette rue est le lien physique qui relie le FRAC aux autres sites de la Fondation Fiminco, qui a transformé la friche industrielle de laboratoire d’art Roussel-Uclaf en un quartier culturel de 11 000 m2. Dans les bâtiments, également rénovés par Freaks freearchitects, se sont installés des galeries d’art, des résidences d’artistes, La Chaufferie (un impressionnant espace d’exposition de 800 m2), des ateliers photo et vidéo…
« Notre souhait est d’offrir aux artistes un cadre idéal où se croisent galeristes, créateurs du monde entier, collectionneurs… et de leur donner tous les outils possibles pour qu’ils puissent s’exprimer sans contraintes », explique Joachim Pflieger, directeur général de la fondation. Ce véritable laboratoire d’art de la création contemporaine se veut grand ouvert au public avec un calendrier riche en expositions, en projets éducatifs à destination des scolaires, en rencontres et ateliers avec des partenaires tels que l’association L’Art en partage. Le FRAC, grâce à son site Internet, permettra par exemple bientôt aux visiteurs de choisir les œuvres qu’ils souhaitent voir exposées. Pour les architectes, le véritable défi fut d’ouvrir les volumes pour y intégrer la collection publique d’art contemporain.
Des artistes en résidence
« À l’origine, ce carré formé par quatre immeubles était fermé sur lui-même. Nous avons donc opéré une tranchée dans le bâtiment côté rue pour désenclaver le bloc et pour que les gens puissent, en s’orientant grâce à la cheminée de l’ancienne chaufferie des laboratoires, avoir un accès direct au site », raconte Cyril Gauthier, autre membre du trio. Le bâtiment Chauveau, qui abritait une partie de l’administration de Roussel-Uclaf, accueille désormais le siège de la fondation et la Galerie Jocelyn Wolff.
À droite, le bâtiment Carrel (aujourd’hui Barot) est voué aux résidences (18 artistes internationaux viennent d’y être sélectionnés), à l’école de design et de mode Parsons Paris (antenne française de la Parsons School of Design et de l’université The New School, à New York) et à la maison d’impression Après Midi Lab, qui ouvriront leurs portes en 2021. À gauche, le bâtiment Nocard abrite les galeries In Situ Fabienne Leclerc, Sator et Air de Paris qui, avec Jocelyn Wolff, communiquent sous le label Komunuma. En face, les réserves du FRAC ont trouvé l’asile qu’elles attendaient.
Un fleuron de l’architecture industrielle
Les laboratoires d’art Roussel-Uclaf font partie du patrimoine industriel de l’Est parisien. Ils étaient le décor de l’un des fleurons du secteur pharmaceutique hexagonal, héritier des travaux du vétérinaire Gaston Roussel, qui, en 1909, élabora un sérum contre l’anémie. Le porche monumental, orné d’une horloge, signale aujourd’hui l’entrée du centre commercial Paddock, ouvert fin 2019.
Des bâtiments furent confiés à Jean Barot, spécialiste de l’architecture industrielle, qui s’intéressait au sort des employés : « L’ouvrier devrait retrouver cette joie du travail dans un cadre aimable, humain. De larges fenêtres, de l’air, de la lumière, de gais balcons, des matériaux plaisants, d’un entretien facile, comme la brique par exemple – dont une de nos plus grandes époques a su faire merveille », écrivait-il alors. Parement de brique rouge, vastes baies vitrées horizontales, formes géométriques, encadrements blancs saillants, pureté des lignes, escaliers vitrés…
Le laboratoire d’art tout en brique
La Chaufferie et les bâtiments Carrel et Nocard répondent très exactement à cette description d’une architecture moderniste « tempérée ». Pour les membres de Freaks, l’autre enjeu posé par le FRAC était son incorporation dans l’existant, en particulier les espaces aux façades aveugles des lieux de stockage. L’idée a été de les cacher derrière les bâtiments Carrel et Nocard, et de ne laisser visible que la partie vitrée de l’accueil et des lieux d’exposition.
« En faisant des clins d’œil à Jean Barot, nous nous sommes fait plaisir, raconte Yves Pasquet, de Freaks freearchitects. Nous avons opté pour un parement en brique que nous avons choisi en jade blanc et posé en décrochage façon moucharabieh. Et puis, il y a les lignes des baies vitrées. À l’horizontalité de Jean Barot, nous avons opposé la verticalité des ouvertures du FRAC. » Heureux du résultat, Xavier Franceschi trépigne à l’idée de pouvoir enfin y transporter les réserves du fonds d’art. Ce sera chose faite au printemps 2021. En attendant, une exposition de quelques œuvres emblématiques est prévue mi-novembre.
> Exposition, Children Power Exposition interdite aux + de 18 ans* 19.05 – 19.12 – fermeture estivale du 28.07 au 29.08.21 inclus
> Événement Réouverture , les Réserves en 2022 ! Après l’ouverture inaugurale au printemps 2021, les Réserves referment leurs portes afin de mener à bien le transfert des 2005 œuvres de la collection qui y prendront place.
> Frac Île-de-France, Le Plateau, 22 rue des Alouettes, 75019 Paris