Amarante, safran ou blanc opalin… Elles dégoulinent du plafond, mouchettent un mur blanc ou s’entassent dans un immense filet et éclatent aux quatre coins de la pièce… Les œuvres colorées de Sheila Hicks font enfin l’objet d’une rétrospective au centre Pompidou (jusqu’au 30 avril). L’immense coloriste américaine, 83 ans, qui a permis à l’art du textile d’acquérir ses lettres de noblesse est enfin reconnue en France (où elle vit depuis 1964) grâce à une exposition dont la muséographie rend hommage à la souplesse de l’œuvre chamarrée de cette artiste.
Ici, le visiteur déambule en liberté d’une pièce monumentale d’1,5 tonne à un micro-tissage de quelques grammes seulement. « Sheila a demandé à ce que les œuvres restent en vie dans l’exposition, nous avons donc laissé ouverts les 850 m2 d’espaces, sans parcours imposé ni chronologie. Cela permet une immersion instinctive dans les formes, les couleurs et les matériaux », détaille le commissaire de l’exposition Michel Gauthier. Une demande logique pour l’œuvre inclassable de cette artiste « chromophile », comme l’avait surnommée un critique américain, qui slalome depuis toujours entre art et design.
Née aux Etats-Unis en 1934, Sheila Hicks embrasse une carrière de peintre et devient, à Yale, l’élève de l’ancien professeur du Bauhaus Josef Albers (1888-1966). Elle fait, sous sa houlette, le choix du textile dès le milieu des années 50 pour pouvoir « peindre dans l’espace », imaginer une peinture qui se dispense de support, en s’inspirant des artisanats péruviens sur lesquels elle fera une thèse. Mais le textile lui permet aussi d’affiner son travail du mariage des couleurs, car « il permet de tisser et donc d’entrecroiser matières et couleurs », rappelle Michel Gauthier.
Précurseur, elle voyagera entre Inde, Maroc et Mexique, à la recherche des plus belles couleurs et des plus beaux motifs, dont la décoration s’emparera quelques décennies plus tard. A chaque fois, elle délocalise son atelier au gré de ses déplacement. De cette synthèse mondiale, elle imaginera des pièces chamarrées, unies, des camaïeux ou des clash de couleurs qu’elle travaille en coton, laine, soie ou en mixant les trois. Et surtout elle se tournera aussi vers les éditeurs de design.
L’exposition montre donc son travail avec Knoll, et notamment les coussins qu’elle imagina pour la chaise Tulip de Saarinen ou avec Sunbrella qu’elle a aidé à développer de nouvelles fibres synthétiques. Quelques exemples parmi les 140 œuvres montrées dans cette exposition foisonnante, sans œillères, un terme en parfaite adéquation avec cette femme qui n’a jamais choisi entre art, design et artisanat…
Sheila Hicks, lignes de vie. Jusqu’au 30 avril au Centre Pompidou.