Au milieu des années 1990, deux jeunes artisans d’art – Bruno Domeau est sellier et Philippe Pérès tapissier – décident de mettre leurs savoir-faire hérités de la grande tradition française au service de la création contemporaine. Ils installent leur atelier à la Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) et rentrent d’abord en contact avec Christophe Pillet. Le designer leur dessine le canapé Videolounge qu’ils exposent au Salon du meuble de Paris.
Cette participation leur permet de nouer des relations avec de jeunes designers qui vont vite devenir des stars de la discipline, comme Ronan Bouroullec et Matali Crasset. La suite de l’aventure est ponctuée de collaborations avec des créateurs reconnus (de Marc Newson à Andrée Putman) et d’autres plus occasionnels comme Pharrell Williams. Des designers aux styles et méthodes de travail très différents, mais c’est justement ce qu’apprécient Domeau & Pérès, qui viennent de travailler avec Raphaël Navot sur un canapé voluptueux baptisé Moon…
Lors d’une interview donnée à l’occasion de leurs 20 ans, Bruno Domeau et Philippe Pérès confient leur volonté de donner toutes leurs archives à un musée qui saura les conserver et les mettre en valeur. A la lecture de l’article, Katia Baudin, qui vient d’arriver à la tête du Kaiser Wilhelm Museum de Krefeld, leur annonce que son institution est prête à recevoir ce legs. Comme Saint-Etienne en France, cette ville allemande proche de Dusseldorf était autrefois spécialisée dans le textile et a donc développé un musée spécialisé dans les arts appliqués. Avec cette donation, qui comprend le mobilier mais aussi les croquis, plans et autres documents préparatoires, il renoue avec cette vocation initiale et présente cet été un accrochage des pièces de Domeau & Pérès et du designer Peter Ghyczy. Pour se connecter à l’histoire du musée, la scénographie introduit des pièces issues des collections permanentes, placées en regard des meubles.
Quand on pénètre dans l’exposition, on tombe sur une reconstitution du stand monté – à la hâte et avec les moyens du bord – par Domeau & Pérès pour le Salon de Milan 1998. Matali Crasset, tout juste sortie de l’ENSCI, leur avait présenté quelques mois plus tôt les premiers croquis de sa « colonne d’hospitalité », un lit d’appoint qui s’enroule et se range à la verticale pour gagner de la place. Plus loin dans l’exposition, on retrouve les croquis et dessins réalisés pour expliquer aux éditeurs cette typologie nouvelle.
Parmi les autres pièces remarquables de cette exposition, le fauteuil Domo de Martin Szekely (2005) occupe une place à part. En apparence, il affiche des formes rectilignes mais quand on s’y installe, on découvre que son dossier bascule subtilement de quelques degrés grâce à un mécanisme complexe pour lui donner plus de confort. Et que son rembourrage fait l’objet d’un assemblage savant de différentes qualités de mousse. Une réalisation fidèle au mot d’ordre que le designer s’était lancé : « Je veux m’asseoir sur du mou ! »
Plus loin, on découvre également la toute première assise de Ronan Bouroullec. Pour Domeau & Pérès, le designer pas encore associé à son frère avait conçu en 1999 une banquette baptisée Safe Rest. Cette pièce à la structure très complexe n’a été produite qu’à quelques exemplaires et celle présentée n’est pas issue de la donation mais de la collection personnelle de l’artiste Xavier Veilhan.
Croquis de Ronan Bouroullec pour le sofa Safe Rest.
Vu le fruit de ces 20 années de création, on espère que ce coup de balai dans les ateliers de Domeau & Pérès leur redonnera l’énergie de poursuivre leur travail de connexion entre design et métiers d’art.
« From idea to form. Domeau & Pérès: Design and craftmanship in dialogue », jusqu’au 14 octobre au Kaiser Wilhelm Museum de Krefeld (Allemagne).