Exposition Cartier et les Arts de l’Islam : sublime vague orientale

Jusqu'au 20 février prochain, le Musée des Arts Décoratifs de Paris montre comment la Maison Cartier s'inspire des motifs orientaux depuis le début du 20e siècle.

Dévoilant cent ans de créations fascinantes, l’exposition « Cartier et les arts de l’Islam. Aux sources de la modernité », organisée au musée des Arts décoratifs (MAD), à Paris, démontre combien la maison de la rue de la Paix a été inspirée, dès le début du XXe siècle, par les motifs orientaux.

Au début du XXe siècle, Paris devient une plaque tournante commerciale, mais surtout culturelle. Et la mode, en Occident, est à l’art islamique ce qui inspira la maison Cartier. « Sujet à la fois éminemment politique et richement esthétique, le rapport entretenu par la création artistique européenne avec les arts de l’Islam n’a rien d’anecdotique, précise Olivier Gabet, directeur du MAD. Et cela depuis les alliances diplomatiques entre la France et l’Empire ottoman au XVIe siècle, jusqu’aux conquêtes coloniales et impérialistes des XIXe et XXe siècles. »

Les 500 pièces, bijoux et objets précieux sortis des ateliers de la maison Cartier faisant écho à des chefs-d’œuvre de l’art islamique – comprenant dessins, livres, photographies et documents d’archives – démontrent donc, au-delà de la beauté des pièces exposées et des interactions culturelles, la complicité qu’a toujours maintenue la maison Cartier avec l’un des départements du musée du Louvre.

Coffret d’Iran, XIXe siècle, bois et marqueterie teinté, d’ivoire et de métal (khatamkari), Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam. Dépôt du musée des Arts décoratifs, Paris.
Coffret d’Iran, XIXe siècle, bois et marqueterie teinté, d’ivoire et de métal (khatamkari), Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam. Dépôt du musée des Arts décoratifs, Paris. Dist. RMN Grand Palais / Hervé Lewandowski

Une inspiration universelle

Trois grandes expositions ont déjà corroboré le phénomène. La première, qui a lieu en 1893 au palais de l’Industrie, est critiquée, malgré sa qualité. La deuxième, organisée au musée des Arts décoratifs, en 1903, par Gaston Migeon, conservateur au Louvre, récolte toutes les louanges. Conquise, l’Allemagne suit le mouvement avec une exposition à Munich, en 1910, qui rassemblera quelque 3553 pièces remarquables. Les raisons de cet engouement ? Elles sont politiques : « L’affaiblissement des grands empires, qui font face aux appétits coloniaux et occidentaux, est propice à la fuite des œuvres d’art vers l’Europe et vers Paris », rappellent les conservatrices Judith Henon-Raynaud et Évelyne Possémé.

Ces expositions firent donc office de révélateurs. Au début du XXe siècle, Louis, petit-fils du fondateur Louis-François Cartier – qui a repris l’activité de la maison avec son père Alfred en 1874 –, est en quête de nouvelles sources d’inspiration. Et cette ferveur pour les arts islamiques tombe à pic. 

Panneau de revêtement d’Iran, fin XIVe siècle, mosaïque de céramique, Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, dépôt du MAD Paris (à gauche). Pyxide de Sicile, XVe siècle, ivoire et alliage de cuivre qui fût présentée à l’exposition des « Arts musulmans », à Paris, au musée des Arts décoratifs, en 1903, musée du Louvre (à droite).
Panneau de revêtement d’Iran, fin XIVe siècle, mosaïque de céramique, Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, dépôt du MAD Paris (à gauche). Pyxide de Sicile, XVe siècle, ivoire et alliage de cuivre qui fût présentée à l’exposition des « Arts musulmans », à Paris, au musée des Arts décoratifs, en 1903, musée du Louvre (à droite). musee-du-louvre dist-rmn-grand-palais-raphael-chipault-benjamin-soligny

Entre architecture et livres d’ornements 

Dès 1904, les bijoux et objets déco de la maison Cartier empruntent des compositions graphiques découvertes dans des livres d’ornements et dans l’architecture orientale : décors de briques émaillées d’Asie centrale, mandorles, palmettes, fleurons, rinceaux, sequins, ondulations, écailles… En 1911, Jacques, le frère de Louis, part pour l’Inde et le golfe Persique et en rapporte des pierres et des perles… et surtout de l’inspiration. De son côté, Louis constitue une collection exceptionnelle de chefs-d’œuvre de l’art islamique (manuscrits, peintures et objets incrustés d’Inde et d’Iran, des XVIe et XVIIe siècles), qu’il prêtera d’ailleurs, en 1912, au musée des Arts décoratifs pour l’exposition « Miniatures persanes ».

Ces différentes sources d’influence participèrent non seulement au renouveau des formes, mais également à celui des techniques de fabrication joaillière. Ce qui donna naissance aux aigrettes, aux pompons, aux bazubands (des bracelets de bras et non de poignet), aux montures et assemblages à la flexibilité inspirée des bijoux indiens, et que l’on retrouve dans ces « apprêts », des fragments d’objets orientaux ou de tissus ajoutés à des parties de bijoux pour réaliser sacs et accessoires.

Aperçu de la scénographie de l’exposition, «Cartier et les Arts de l’Islam. Aux sources de la modernité»,  au MAD Paris.
Aperçu de la scénographie de l’exposition, «Cartier et les Arts de l’Islam. Aux sources de la modernité»,  au MAD Paris. DR

Les motifs de tapis des livres d’ornements sont repris sur des nécessaires, des étuis à cigarettes, des tubes de rouge à lèvres noir et or ou bleu et or et dans des lignes épurées. Dès lors, bleus de lapis-lazuli de l’Afghanistan (évoquant les glaçures des briques et de la céramique d’Asie centrale) et turquoises iraniennes se mélangent à l’émeraude, au jade et au saphir, et créent ainsi le fameux décor de paon.

Dans les années 30, Jeanne Toussaint, directrice artistique de la maison, y ajoute le mauve de l’améthyste et lance, d’après la culture indienne, la mode des bijoux volumineux, de larges colliers à plusieurs rangs tels les colliers berbères en vogue dans les années 70. L’Orient, récupéré par la mode hippie, fait toujours rêver l’Occident. 

> « Cartier et les Arts de l’Islam. Aux sources de la modernité ». Au MAD jusqu’au 20 février 2022. madparis.fr

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