Printemps de Prague, soulèvement des étudiants en France, manifestations pour les droits civiques aux États-Unis… En 1968, le monde est à feu et à sang. Sauf en Espagne, où les habitants subissent le joug dictatorial de Franco. Un lieu cependant échappe à la censure : le Centre de calcul de l’Université de Madrid, auquel l’entreprise IBM vient de léguer un certain nombre d’ordinateurs.
Ces machines intéressent une bande d’irréductibles, des artistes, des architectes et des scientifiques qui, inspirés par les théories linguistiques de Noam Chomsky ou par la poésie expérimentale, décident de transcender le langage artistique en un langage informatique. Leur ambition ? Déconstruire des formes identifiables pour créer l’unité minimale à partir de laquelle reconstruire toutes les formes.
Le programmeur Guillermo Searle, par exemple, reproduit des classiques de l’histoire de l’art (La Joconde, de Léonard de Vinci, ou La Maja nue, de Goya) en codant certains tableaux qu’il traduit ensuite grâce à un système de lettres sur une simple feuille de papier. L’architecte Francisco Javier Seguí de la Riva, associé à la sociologue Ana Buenaventura, compose des modules qui, en s’agrégeant les uns aux autres, développent un processus pouvant même s’adapter à un métier à tisser. Quant à Enrique Salamanca, fortement imprégné des valeurs de la pop culture, il s’intéresse aux phénomènes de perception générés par des figures géométriques qu’il réalise en plastique coloré.
Enfin, les sculptures topologiques de José Luis Alexanco concluent ce parcours. Elles ont été découpées strate par strate à partir d’un programme informatique baptisé « Mouvnt » (contraction de « mouvement ») qui, à l’instar des zoopraxiphotographies du Britannique Eadweard Muybridge au XIXe siècle, permet de décomposer le mouvement. Cette aventure aussi inédite qu’exceptionnelle ne pouvait être mieux retracée que sous les excroissances de verre et d’acier dessinées par l’agence Jakob + MacFarlane, trois Turbulences entièrement conçues par des outils numériques.
> « Madrid, octobre 68 – La scène expérimentale espagnole ». Au FRAC Centre-Val de Loire, à Orléans (45), jusqu’au 24 février.