En tout et pour tout, l’odyssée du groupe Memphis n’aura duré que sept ans. Mais le raz-de-marée suscité par son ascension fulgurante continue aujourd’hui d’irriguer bien des domaines. « Après Memphis, rien n’a plus jamais été pareil, rappelle ainsi Constance Rubini, la directrice du musée des Arts décoratifs et du Design (Madd). Ses acteurs ont rompu avec les codes d’une certaine esthétique bourgeoise : celle du bon goût, à laquelle ils ont mis un point final. Leur état d’esprit très libre, très postmoderne – qui est celui de l’hybridation et du mélange – a eu une influence qui va bien au-delà du design… »
David Bowie et Karl Lagerfeld n’en furent-ils d’ailleurs pas de fervents collectionneurs ? Pour la genèse, retour au 18 septembre 1981. Ce jour-là, à Milan, la galerie Arc 74 inaugure la première exposition d’une communauté de jeunes designers et d’architectes fédérée autour de l’Italien Ettore Sottsass. Lors du vernissage, plus de 2 000 visiteurs se pressent pour découvrir leurs ovnis stylistiques.
Le nom de ce collectif de créateurs ? Memphis. Un clin d’œil à une chanson de Bob Dylan (Stuck Inside of Mobile With The Memphis Blues Again), mais aussi à la capitale de l’Égypte ancienne. Populaire et érudite, spontanée et réfléchie, l’appellation condense à la perfection l’esprit rebelle véhiculé par le groupe, qui comptera en son sein des talents comme Michele De Lucchi, Marco Zanini ou Nathalie du Pasquier.
Symétries audacieuses et couleurs explosives
Le groupe a révolutionné la logique créative et commerciale de la discipline. S’affranchir du carcan industriel, faire voler en éclats les conceptions excessivement rationnelles du fonctionnalisme pur et dur symbolisé par la formule de Louis H. Sullivan, « La forme suit la fonction. Telle est la loi », repenser l’objet de manière plus large, insuffler une culture démocratique au cœur des enjeux du design… Tel était le nouveau langage instinctif défendu par Ettore Sottsass et ses acolytes. En 1988, l’aventure prend fin. « Ettore Sottsass estimait que ce n’était pas fait pour durer, que le design, c’est comme la vie, quelque chose d’éphémère », conclut Constance Rubini. L’exposition présentée au Madd jusqu’à la fin de l’année réunit quelque 160 meubles et objets, dont une trentaine de pièces rares en verre de Murano. En 1983, Bordeaux, ville d’origine de Nathalie du Pasquier, fut la première ville française à organiser une exposition consacrée au mouvement Memphis…
> « Memphis – Plastic Field ». Au musée des Arts décoratifs et du Design, à Bordeaux (33), jusqu’au 5 janvier 2020.