Le titre « Kleureyck » est un néologisme, qui associe le mot couleur en flamand au nom du peintre Jan Van Eyck (1390-1441). Quand la commissaire Sigrid Demyttenaere s’est vu confier cette exposition du Design Museum sur le thème de la couleur, il lui a tout de suite été précisé qu’elle devrait créer un lien avec la grande rétrospective Van Eyck, qui se tient à Gand au même moment. Alors qu’elle se documente, un monde nouveau s’ouvre à elle. Qu’il s’agisse de techniques, de couleurs ou de symbolisme, le peintre lui apparaît comme un pionnier, un chercheur. Et la commissaire fait vite le parallèle avec le travail des designers actuels… Pour obtenir précisément la teinte voulue, Van Eyck trouvait des réponses innovantes à une série de questions techniques. Le velours d’un costume devait ainsi être immédiatement identifiable. La façon dont le public allait percevoir les choses était une donnée appréhendée en amont, aussi bien par Van Eyck que par les designers d‘aujourd’hui.
L’exposition se compose de trois sections. Dans « l’Experience Room », une dizaine de designers a chacun réalisé une œuvre sur le thème de la couleur. Dans les « Research Projects », de jeunes créateurs ont étudié, à l’instar du maître flamand, la façon dont la couleur influence nos perceptions. A cet étage, le Français Raphaël Pluvinage va encore plus loin que Van Eyck avec sa Noisy Jelly, une sorte de gelée colorée qui produit des sons musicaux. Mais pour nous, le clou de l’exposition est dans la partie baptisée « Pigment Walk ». Les commissaires Sigrid Demyttenaere et Sofie Lachaert y ont sélectionné une centaine de pièces de design contemporain, de Hella Jongerius aux frères Bouroullec, illustrant la recherche sur la couleur. Elles se découvrent en treize ilots, chacun sur le thème d’un détail de l’Agneau Mystique, le polyptyque le plus célèbre de Van Eyck, conservé à Gand. On y découvre l’influence de la chromie sur la perception de la matière. D’ailleurs, la couleur elle-même existe-t-elle ailleurs que dans notre cerveau ? Un début de réflexion à développer en sillonnant les allées des trois sections…
Avant même d’entrer dans l’Experience Room, le visiteur de « Kleureyck » croise un drôle d’objet. Time Rock Stack, de Dawn Bendick (2019-2020) s’inspire de la façon dont Van Eyck peignait les reflets de la lumière jusque dans le moindre verre d’eau ou à la surface de pierres précieuses. L’artiste anglaise a composé des « cairns », des amas de pierre qui marquent un sentier mais en utilisant du verre de couleur. Selon l’artiste, les changements de lumière – une obsession chez Van Eyck – suggèrent aussi le temps qui passe…
Prévoir du temps dans chacune des trois sections, spécialement le « Pigment Walk », un défilé de pièces fortes correspondant chacune à une couleur issue d’un tableau de Van Eyck. Dans le détail du visage arrondi d’Eve sur un retable, le siège Perma 01 (2018), du designer polonais Martin Ruzak s’impose dans une connivence de registre. Sa résine noire incrustée de fleurs, bourgeons, feuilles ou brindilles rappelle les serpentins de zestes des natures mortes flamandes.
Autour des plis de la robe d’Elizabeth Borluut, saisis dans un retable, la chaise Hortensia de l’Argentin Andrés Reisinger fait sensation. Le trentenaire a d’abord posté sur Instagram une image numérique de ce fauteuil recouvert de pétales découpés au laser dans du polyester. Avec la créatrice textile Júlia Esqué, Reisinger s’est trouvé, comme Van Eyck, dans la situation où la moindre nuance de rose utilisée doit suggérer le sentiment de beauté que procure un vrai pétale d’hortensia.
Les plis de la robe d’Elizabeth Borluut peinte par Van Eyck dialoguent aussi avec le Shrouded Furnace 5 (2017), poêle de faïence de la designer allemande Marie Fillipa Janssen. Pour elle, cet archétype est typique des intérieurs du sud de l’Allemagne d’où elle est originaire. Véritable toile en céramique drapée, ce fourneau est un tour de force technique et visuel. Un objet à l’image de l’œuvre de Van Eyck…
> L’exposition « Kleureyck est une coproduction avec Lille3000 dans le cadre de « Lille Métropole 2020, Capitale Mondiale du Design ». L’exposition de Gand sera présentée, dans une version élargie, au Tripostal de Lille, du 9 octobre 2020 au 3 janvier 2021.