Georges Bataille, Joseph Conrad, T. S. Eliot, Eschyle, Michel Leiris ou Friedrich Nietzsche sont quelques-uns des auteurs que lisait Francis Bacon (1909-1992). Leurs points communs ? « Ils partagent une même vision réaliste du monde, une conception de l’art et de ses formes, libérée des a priori de l’idéalisme », déclare Didier Ottinger, directeur adjoint du musée d’Art moderne. Leurs écrits, qui suscitaient chez Bacon « des images immédiates », ont inspiré nombre de ses portraits, autoportraits et corps contorsionnés, écorchés, disséqués.
Pourtant, Bacon affirmait : « J’ai toujours voulu – sans jamais réussir – peindre le sourire. J’aime le luisant et la couleur qui viennent de la bouche et j’ai toujours espéré, en un sens, être capable de peindre la bouche comme Monet peignait un coucher de soleil. » C’est après avoir visité une exposition de Picasso, au début des années 30 à Paris, qu’il se consacre à la peinture. Fasciné par la crucifixion cubiste du père des Demoiselles d’Avignon, il en reprend le motif, cherchant à reproduire l’intensité ressentie face à ce corps en souffrance.
Il apprend en admirant Ingres, Rembrandt ou Vélasquez à la National Gallery, et travaille dans la solitude de son atelier, à partir de photographies : sportifs, animaux, mais aussi clichés de Muybridge (photographe qui, à la fin du XIXe siècle, décomposait le mouvement, par exemple, celui d’un cheval au galop). Ses tableaux ne portent pas de titre – il affirmait qu’ils ne racontaient rien – mais des dates, pour mieux inscrire son travail dans le temps et en constater l’évolution.
À Beaubourg, l’exposition commence par 1971, année où Bacon réalise un triptyque en hommage à son compagnon défunt, George Dyer, et se termine en 1992. Le peintre autodidacte et inclassable a souvent recouru au triptyque, reprenant la même figure ou juxtaposant et mélangeant – notamment par les photos épinglées au mur – ses modèles. Au cours de ces deux décennies, son style se simplifie, sa palette se charge de jaune, de rose et d’orangé, autant de couleurs qui définissent les volumes, tandis que les couches de matière se superposent, créant des empâtements qu’il racle parfois jusqu’à faire apparaître la toile.
> « Bacon en toutes lettres ». Au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 20 janvier 2020.