Expo : Des artistes congolais racontent l’architecture et l’urbanisme de Kinshasa

Et si l'art était une autre façon d'envisager la ville ? Avec l'exposition « Kinshasa Chroniques » à la Cité de l'architecture, des artistes locaux racontent leur ville telle qu'ils la voient, la vivent, la questionnent, l’imaginent, l’espèrent, la contestent…

La Cité de l’architecture & du patrimoine présente pour la première fois une grande exposition d’art contemporain qui interroge la ville et ses représentations. Cet accrochage réunit 70 artistes congolais, membres pour la plupart de la jeune génération de créateurs, pour raconter dans « Kinshasa Chroniques » la complexité et la richesse de la capitale congolaise, troisième ville d’Afrique. Ces neuf chroniques peuvent être abordées de manière linéaire, même si, dans cette exposition, la scénographie n’impose aucun sens de visite. Ville Performance, sport, paraître, musique, capital, esprit, débrouille, futur ou mémoire : si les thématiques sont diverses, elles dressent un portrait esthétique et attachant de Kinshasa. Pour les artistes réunis dans cette exposition, créer est un acte d’engagement, d’adhésion à la ville. La pratique de l’art se comprend ici comme une pratique de construction de l’urbain. Elle émane de la ville et la forge tout à la fois…


1/ Vanité urbaine capturé par Sammy Baloji et Filip de Boeck

Les cinéastes Sammy Baloji et Filip de Boeck présentent leur incroyable film « La Tour – une utopie concrète ». Cette tour, comme celle de Babel, est un exemple de construction défiant la gravité. Située dans la commune limitrophe de Limete, elle se compose de 12 étages, mais sa réalisation autant que son état de délabrement suscitent controverse et indignation à Kinshasa. Dans cette courte vidéo, The Doctor, le propriétaire de la bâtisse, accueille le visiteur et explique son architecture singulière et la façon dont on y vit. La structure est brute et dénuée de toute finition. Quant à la construction anarchique, elle donne cette impression de chantier inachevé. Fascinant…


2/ Kinshasa théâtrale sous l’œil d’Yves Sambu

Le photographe Yves Sambu propose avec sa série « Vanité apparente » un regard frais sur la ville de Kinshasa. Le visiteur découvre des personnages excentriques dans une mise en scène théâtrale. Le choix des lieux sont atypiques, à travers ses photographies nous parcourons une ville pleine de couleurs où l’art de se vêtir est primordial. Ces personnages s’approprient l’espace urbain et la ville devient une scène où déambulent les habitants.

La série « Vanité apparente » met notamment en scène une vieille femme au look incroyable et un un jeune garçon vêtu d’un costume en perles dans un cimetière.
La série « Vanité apparente » met notamment en scène une vieille femme au look incroyable et un un jeune garçon vêtu d’un costume en perles dans un cimetière. Yves Sambu

3/ Kinshasa, ville du paraître

« Paraître, faire croire, faire valoir, faire semblant… Kinshasa : ville spectacle, ville narcisse. », dit l’anthropologue Yoka Lye Mudaba. La culture urbaine de Kinshasa est très axée sur le port et l’exhibition de vêtements de luxe. La fameuse « Sape» (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes) naît dans le contexte de la période coloniale, à Brazzaville, sur la rive droite du fleuve Congo. « D’emblée, écrit l’historien Didier Gondola, elle signale une répudiation du stigmate raciste de “peuple nu” dont l’Occident affuble les Africains. »

Au début du XXe siècle, les habits usagés des colons, remis en guise de salaire à leurs domestiques, sont adoptés, puis adaptés avec goût par les habitants de Kinshasa. Ci-dessous, le peintre JP Mika se représente dans une toile où il inclut des symboles et animaux pour évoquer la générosité et le paraître. Il se met en scène dans un décor peuplé de roses et de carpes dévorant la moindre nourriture. L’esprit de la ville se ressent à travers l’euphorie qu’offre cette peinture.

« La Générosité ». Acrylique, huile, encre de Chine et paillettes sur tissu.
« La Générosité ». Acrylique, huile, encre de Chine et paillettes sur tissu. JP Mika

4/ La ville-performance de Maurice Mbikayi

La performance telle qu’elle est pratiquée à Kinshasa est ancrée dans une histoire au long cours, indissociable de celle du Congo et du continent africain tout entier, entre création et politique. « Investir l’espace pour le questionner, le contester, le reprendre. Y déployer son corps pour dire sa colère, son espoir. Pour s’insurger et rêver. Tel est l’art de la performance », selon l’écrivain Noa Jamsine. Pour s’approprier l’espace urbain de Kinshasa, Maurice Mbikayi met en scène un personnage vêtu d’un accoutrement en matériaux recyclés au milieu d’un amas de déchets électroniques.

« Le Techno dandy », performance de Maurice Mbikayi immortalisée par Ashley Walters.
« Le Techno dandy », performance de Maurice Mbikayi immortalisée par Ashley Walters. maurice mbikayi

5/ Kinshasa version futuriste

Le futur joue un rôle central dans le travail de nombreux artistes kinois qui s’approprient les codes de la science-fiction. Pour la plupart d’entre eux, ces travaux ne sont pas directement influencés par l’Afro-futurisme, courant d’idées né dans la diaspora afro-américaine, que l’on fait habituellement remonter aux années 1950 mais dont les racines sont à rechercher dans la violence de la traite négrière. Le triptyque Kong Astronauts nous plonge dans un Kinshasa envahi de motifs vifs et de personnages futuristes en mêlant illustration et photomontages. Les motifs présents reprennent ceux des textiles populaires de la ville.

Kongo Astronauts, Triptyque : RDC, Zaïre, Congo belge, série « Postcolonial Dilemna Rebooted », 2018
Kongo Astronauts, Triptyque : RDC, Zaïre, Congo belge, série « Postcolonial Dilemna Rebooted », 2018 courtesy d’Axis Gallery

> Kinshasa Chroniques jusqu’au 5 juillet 2021 à la Cité de l’architecture & du patrimoine, Galerie haute des expositions temporaires. citedelarchitecture.fr