Elle se méfie d’ailleurs de l’image de la femme naturellement « esthéticienne », un qualificatif dont on affublait les femmes designers, en France, dans l’industrie. Jonathan, de par sa formation d’ébéniste (reçue dans l’adolescence), est toujours prêt à fabriquer une maquette, même quand Nipa mûrit encore le projet. Tant pis s’il faut la démonter et recommencer. Ce sont des gens à l’écoute l’un de l’autre, mais sans se ménager.
Les journaux évoquent souvent leurs origines, l’Inde pour elle, l’Écosse pour lui. Ils diffèrent et s’enrichissent, dans leur manière de faire avancer leurs projets aussi. Ils aiment explorer et faire ressentir de l’émotion, mais cela doit reposer sur une solide structure. Le duo de designers souligne l’acception positive du mot « global » que peut incarner leur biotope londonien, attirant des stagiaires du reste de l’Europe. Nipa, née à Bombay, ayant vécu à Delhi, étudié au National Institute of Design d’Ahmedabad (Inde), puis au Royal College of Arts de Londres, est bien placée pour évoquer la nécessité d’une boussole pour naviguer au gré de ces influences culturelles. Jonathan évoque, avec une sorte de gourmandise, les accessoires du quotidien, comme un mixer de cuisine que, dans sa belle-famille, il est courant de faire réparer plutôt que de jeter. Nipa insiste sur l’intérêt de cette attitude indienne par rapport aux objets et à l’environnement matériel en général. On réalise soudain que toutes ces choses autour de nous, en plus d’avoir une histoire, sont utiles. L’éditrice Patrizia Moroso a décidé du premier projet avec eux sur la foi d’un dessin, sans même leur rendre visite. Giulio Cappellini est passé essayer le prototype du fauteuil Capo et cela lui a suffi ; il était partant.
Certains prototypes passent souvent du studio à leur appartement. « Notre travail est de toute façon une étude de la relation entre les gens et leur environnement immédiat. Nous voyons ce que les objets diffusent dans l’espace autour d’eux », dit Jonathan. C’est pour cela que l’architecture les intéresse, pour l’impact social que peut produire un bâtiment. En quelques années, le studio a changé par le mouvement des pièces exposées qui se sont déplacées au gré des inspirations et des projets. La collection de meubles que le couple a dessinée en 2017 pour l’enseigne anglaise John Lewis avait d’ailleurs pour thème la mobilité du mobilier. Il fallait donner aux clients la possibilité de déménager leur fauteuil en fonction de leurs envies. Vu d’ici, personne n’aurait pu prédire cette collaboration avec une enseigne aussi grand public. C’était oublier que Robin et Lucienne Day l’ont fait avant eux. Fait main ou industriel, le studio Doshi Levien en est plein.