Le metteur en scène belge Ivo van Hove a revisité pour la seconde fois à l’Opéra Bastille l’un des chefs-d’œuvre de Mozart, Don Giovanni. Il en donne une vision architecturale et brillante, idéale pour raconter l’apologie de la séduction et ses conséquences.
Un décor minéral et austère
Dès les premières mesures, l’éclairage est fort, lumière blanche et dramatique préfigurant déjà la fin. C’est d’ailleurs ce que Mozart avait souhaité raconter dans cet opéra qu’il composa et dirigea lui-même à Prague en 1787, un de ses chefs-d’œuvre, comme tout ce qu’il composa d’ailleurs. Pour raconter le mythe d’un « dévoyé qui collectionne sans le moindre état d’âme les conquêtes féminines », Ivo Van Hove (dont c’est la seconde mise en scène pour l’Opéra de Paris après Boris Godounov en 2018), a conçu un décor minéral et austère, qui évoque un immeuble de cité abandonnée, une prison, faite de coursive vides et d’escalier, inspiré par le tableau La Carcieri d’invenzione de Giovanni Battista Piranesi. Mais quoi de mieux, finalement, que l’austérité pour parler de passion, ou de ce feu qui consume !
Les grandes façades en béton aux fenêtres sans vitre, sans volets et sans rideau, de forme carrée ou arrondie, telles les arcades du tableau L’énigme d’un jour de Chirico, laissent deviner des intérieurs vides, comme si une guerre était passée par là, ou comme l’intérieur de soi quand un ouragan l’a dévasté. L’intérieur, ce sont les souffrances de Dona Elvira, ancienne conquête de Don Giovanni, et Donna Anna, (magistralement interprétée par la roumaine Adela Zaharia) autre victime du prédateur pour lequel on ne peut s’empêcher de succomber un peu aussi.
Un air du bauhaus
Ici, l’extérieur n’est que lisseur, l’intérieur n’est que vide, parfait pour accueillir ces âmes accidentées. Ce décor très urbain qui fait penser au cimetière de Carlo Scarpa réalisé à San Vito en 1969, est l’écrin du donjuanisme, « cette soif pathologique toujours inassouvie de la conquête amoureuse dans le but purement narcissique de se rassurer » analyse le livret. Mais il évoque également cette lutte entre pouvoir et contre pouvoir, « un criant parallèle avec les problématiques sociétales propres à l’époque de Metoo, et aux abus et violences endurées par les personnage féminins » reprend le texte.
Sur scène, la monochromie est partout, mais sans jamais être mélancolie. Elle l’est dans les robes grises, dans les costumes et les cravates sombres, Don Giovanni revu au XXIe siècle. Elle est là pour atténuer les brûlures internes. La couleur pointe néanmoins le bout de son nez au moment du bal, à la fin du premier acte, où les coursives vides se peuplent des mannequins en bois habillés de costumes XVIIIe, tout comme les chanteurs, histoire de replonger l’opéra dans son époque, montrer l’absence de tout hiatus entre hier et aujourd’hui. Là est donc le fil rouge, dans la couleur des costumes, dans celle de la rose également que Donna Anna dépose dans un soliflore, sur le devant de la scène, lieu où son père a été tué, où Zerlina et Masetto tentent de s’aimer. De la mort à l’amour…
Réinterprétation artistique
Créée donc en 2019, la mise en scène d’Ivo Van Hove sert admirablement les voix magnifiques, les arias sublimes, les trios brillants, l’intelligence et la drôlerie des dialogues. Tout ce dans quoi Mozart excelle, le drame et la comédie, et avec lesquels le metteur en scène belge jongle également. Et cela jusqu’à la fin, où le décor s’est inspiré d’une interprétation d’une toile du XVIIe siècle, La chute des damnés de Frans Francken II le Jeune. Clin d’œil à la pièce Les damnés d’après le film de Luchino Visconti et qu’Ivo van Hove avait mis en scène pour la Comédie Française, au festival d’Avignon de 2016.
Une fois Don Giovanni envolé, ou plutôt envoyé dans les flammes de l’enfer, le vide se remplit, les fenêtres se parent de voilages, les balcons de linge qui sèche, de fleurs et de plantes vertes… La vie reprend, normale et colorée, un brin estropiée, un brin nostalgique aussi…
> Don Giovanni, à voir jusqu’au 11 mars à l’Opéra Bastille, place de la Bastille 75012, Paris, 08 92 89 90 90 et www.operadeparis.fr