Dans les coulisses du nouvel atelier de Patrick Jouin

Son ancienne adresse comptait déjà un studio de design industriel et une agence d’architecture. Le designer a ajouté une corde à son arc en lançant sa propre collection de meubles et d’objets et en déménageant pour un plus grand espace. Nous sommes allés capter l’ambiance de ce haut lieu de la création.

Avec le Salon du meuble de Milan pour horizon, le designer Patrick Jouin planche sur cinq pièces de mobilier pour Louis Vuitton, un fauteuil pour Pedrali et un luminaire pour Lasvit… mais aussi sur d’autres projets variés, tels le tramway « expérimental » (alimenté par batterie) d’Al-Ula, en Arabie saoudite, pour Alstom, les gares – mobilier urbain et espaces – du Grand Paris Express ainsi que la future ligne 13 automatisée pour la RATP et le célèbre hôtel Park Hyatt de Shinjuku, à Tokyo.


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De la main à la matière

Le prolifique designer, d’abord considéré par la presse comme l’un des « petits enfants de Philippe Starck », avec qui il a débuté dans les années 1990, puis comme l’un des membres de la French Touch au début des années 2000, s’est vite singularisé par un parcours bien à lui, signant le Pasta Pot chez Alessi, des sièges chez Pedrali ou encore une maison en Malaisie avec l’architecte canadien Sanjit Manku.

Le designer Patrick Jouin dans son nouveau studio-atelier du VIIIe  arrondissement de Paris, où coexistent les trois entités Patrick Jouin ID (design industriel), Jouin Manku (architecture) et désormais Patrick Jouin Édition (design de haute facture).
Le designer Patrick Jouin dans son nouveau studio-atelier du VIIIe  arrondissement de Paris, où coexistent les trois entités Patrick Jouin ID (design industriel), Jouin Manku (architecture) et désormais Patrick Jouin Édition (design de haute facture). Nicolas Krief pour IDEAT

Ensemble, via leur agence Jouin Manku, ils ont créé les restaurants du chef Alain Ducasse, la boutique culte de Van Cleef&Arpels, place Vendôme, ou transformé l’hôtel La Mamounia, à Marrakech. L’automne dernier, le designer a encore ajouté une autre pierre à son édifice en lançant sa propre collection de mobilier, Patrick Jouin Édition. Jusque-là, il dessinait pour des éditeurs et pour ses projets d’architecture avec Sanjit Manku – bâtiments comme architecture intérieure. Mais il arrivait que certaines pièces croquées sur son carnet finissent dans les limbes.

Cette nouvelle entité a entre autres donné naissance au fauteuil Olo, petite symphonie de cuir et d’acier, un mix parfait de lignes tendues et de souplesse, ou au tabouret pliable Mate en bois et en cuir, aux charnières invisibles, à l’origine un porte-sac créé pour un restaurant d’Alain Ducasse.

En sous-sol, avec un éclairage pensé pour contrebalancer l’absence de lumière naturelle, la salle centrale de l’atelier, notamment dévolue à l’étude des prototypes de pièces de mobilier, réalisés sur place.
En sous-sol, avec un éclairage pensé pour contrebalancer l’absence de lumière naturelle, la salle centrale de l’atelier, notamment dévolue à l’étude des prototypes de pièces de mobilier, réalisés sur place. Nicolas Krief pour IDEAT

Quant à Drop, c’est une table (de salle à manger, basse ou d’appoint), indoor et outdoor, en acier émaillé coulé à la main qui ressemble à du métal maculé de peinture. Elle s’inspire d’un travail que le designer avait effectué pour La Mamounia. Entre artisanat et petite industrie, Patrick Jouin Édition propose aussi les trois étonnantes assiettes Recto-Verso, de la collection « Flip », en grès tourné et émaillé à la main, qui ont la particularité de s’utiliser des deux côtés.

L’usage en ligne de mire

Si de nombreux projets de Patrick Jouin ont vu le jour à la précédente adresse – quatre étages un rien labyrinthiques d’un petit immeuble du XIᵉ arrondissement –, aujourd’hui, la maison se situe dans un ancien garage du VIIIᵉ arrondissement, entre les rues du Faubourg-Saint-Honoré et de Courcelles. Il occupe, sur 1200 m², le rez-de-chaussée et le sous-sol d’un immeuble Art déco donnant sur une rue calme. Patrick Jouin, pour qui « la vie, ce n’est pas que dessiner, c’est aussi être ensemble », a réaménagé l’espace, deux fois plus grand et plus ouvert qu’avant, en ce sens.

Le designer dessine sans cesse – ici, un croquis du fauteuil en cuir Olo –, et suit toutes les étapes de développement de ses projets.
Le designer dessine sans cesse – ici, un croquis du fauteuil en cuir Olo –, et suit toutes les étapes de développement de ses projets. Nicolas Krief pour IDEAT

Le studio de design et l’agence d’architecture se situent en contrebas. Quand on les visite, on longe d’abord la matériauthèque avec tissus, revêtements minéraux, éléments métalliques et beaucoup de bois. Si les outils peuvent être communs, design et architecture se pratiquent séparément – avec des équipes plus étoffées pour le premier.

Et pourtant, le maître des lieux est formel : « Pour moi, c’est la même chose : un papier, un crayon, une problématique, des technologies, des matériaux et un usage, en passant en à peine un quart de seconde d’un projet à l’autre. » Parmi les pépites nées dans l’atelier, le porte-extincteur des gares du Grand Paris Express, dont le prototype a été conçu par Henry Gagnaire, designer et directeur de projet, et Simon Videau, designer et ingénieur. Développer un fauteuil est un travail collaboratif de longue haleine – entre deux et quatre ans.

Aux côtés des prototypes, des objets et du mobilier, des esquisses de concepts architecturaux rappellent les réalisations du studio.
Aux côtés des prototypes, des objets et du mobilier, des esquisses de concepts architecturaux rappellent les réalisations du studio. Nicolas Krief pour IDEAT

On travaille aussi ici sur des maquettes d’éclairage, profilées par un outil de prototypage, l’une des pièces importantes de la salle des machines, quatre fois plus grande que l’ancienne. C’est là encore que se définissent les proportions. Un plaisir plus qu’une tâche, selon Patrick Jouin, qui précise qu’étant fils d’artisan cette pièce fait écho à l’atelier de son père. « C’est rare de rencontrer un designer qui n’aime pas travailler avec ses mains. Cela fait tellement comprendre la matière. Percer, fraiser, j’ai appris tout un tas de choses sur des machines similaires », explique-t-il.

Plus loin, dans une salle voisine, une cabine de peinture. Tout est fait pour que les prototypes soient plus convaincants qu’un dessin. Quant aux objets modélisés sur ordinateur, ils sont ensuite imprimés en 3D. Toutes les proportions, même celles d’un abat-jour, sont vérifiées sur des maquettes.

Le fauteuil Olo de Patrick Jouin. Outre la douceur de son cuir pleine fleur, c’est la souplesse du dossier, apportée par les ressorts, qui étonne.
Le fauteuil Olo de Patrick Jouin. Outre la douceur de son cuir pleine fleur, c’est la souplesse du dossier, apportée par les ressorts, qui étonne. Nicolas Krief pour IDEAT

Dans leur local précédent, Patrick Jouin et Sanjit Manku dessinaient à la même table. L’habitude perdure. Une demi-feuille de papier format A4 ou un écran leur sont suffisants. D’une façon générale, le studio reste un lieu de recherche, avec toujours l’usage en ligne de mire. À l’image des Sanisette parisiennes, dessinées pour Decaux. « L’objet qu’on ne fait que regarder, qui est purement symbolique, c’est plus difficile pour moi », confie Patrick Jouin.

Sa chaise Tamu témoigne aussi de son goût des nouvelles technologies. Réalisée avec Formlabs en résine d’impression 3D, elle est légère, ultra-résistante et se replie comme un origami. Le designer considère pour autant l’IA comme un outil à maîtriser. « Ce qu’elle produit n’est pas si mal. Mais elle travaille avec l’existant alors que nous, ici, nous inventons plutôt le futur. En même temps, le design ne s’est jamais aussi bien porté. Des écoles existent là où il n’y avait que quelques cow-boys dans le Far West », conclut celui pour qui la discipline a également sa raison d’être dans les maisons de retraite, les hôpitaux et les écoles.


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