L’actuel président de Kartell, Claudio Luti, avoue tout sourire ne pas connaître le nombre de Componibili vendus depuis cinquante ans. Pour lui, le plus intéressant est qu’il soit « un intemporel, produit à l’identique depuis ses débuts ». En 1967, le Mobili 4970/84 (son nom de baptême) est le premier rangement modulaire et assemblable. Du module, on élève une tour. Son matériau, l’ABS, est tout nouveau.
Sa plastique (sans mauvais jeu de mots) est à l’opposé des rangements traditionnels. Ce petit meuble vise moins une élite que des urbains qui veulent s’équiper de choses aussi pimpantes que pratiques, parfois pourvues de roulettes ou d’un plateau amovible. Chevet, rangement, bibliothèque, siège, le Componibili fait tout. Il existe même en version cubique.
En 1972, il fait partie de l’exposition « Nouveaux paysages domestiques » du MoMA, à New York, consécration par les Etats-Unis du design italien. Puis, peu après, dans les vitrines de Bloomingdale’s, les Componibili se superposent façon skyline. Un hommage subtil à sa créatrice, l’architecte et urbaniste Anna Ferrieri, première femme diplômée du Politecnico de Milan qui organisa en 1983 une exposition sur l’émancipation des femmes depuis le XVIIIe siècle.
Élevée dans un milieu littéraire, elle épousa le brillant chimiste Giulio Castelli, fondateur de Kartell. En charge du design, elle contribua à ce que le plastique des objets ménagers des débuts de Kartell deviennent la matrice d’un nouveau lifestyle. Parallèlement, le designer italien Enzo Mari pensait que mouler du plastique évitait aux ouvriers la tâche aliénante de l’assemblage des pièces. Les investissements furent colossaux, mais pour quelle réussite cinquante ans après !
Aujourd’hui, la version métallisée Precious (2014) du Componibili exalte plus que jamais l’intérêt du plastique. Après tout, les chicissimes radios culte de Brionvega sont aussi en plastique, et notre module reste plus un cinquantenaire branché qu’un fossile des sixties. Celui ou celle qui a grandi dans les années 60-70 peut même l’avoir enfoui dans sa mémoire, au milieu des meubles de son enfance… en bois ! C’est le côté madeleine de Proust du rangement le plus pratique qui soit.
Retrouvez ci-dessous l’interview de Claudio Luti sur le Componibili, réalisée lors de la dernière Paris Design Week :