Quand Roche Bobois a annoncé pour 2016 une collection de mobilier avec Jean Nouvel, il nous est tout de suite revenu en mémoire, comme un avertissement, ce que nous disait l’architecte plusieurs mois auparavant, alors qu’il nous annonçait son exposition parisienne au musée des Arts décoratifs (« Jean Nouvel, mes meubles d’architecte », à partir du 27 octobre) : « J’ai connu beaucoup d’éditeurs qui voulaient que je vienne pour avoir la signature mais qui ne voulaient surtout pas quelque chose qui les dérange. Une signature qui fait bien et génère quelques pages dans Paris Match ou ailleurs. C’est un travers chez certains éditeurs, en particulier français. » Ouch ! Si bien qu’à la question faussement naïve « Pourquoi Jean Nouvel ? » posée à Nicolas Roche, directeur artistique des collections de Roche Bobois, on notait que c’est sans aucun air d’avoir à se justifier qu’il rappelait que la maison faisait appel à de grandes pointures depuis à peu près quinze ans, de Vladimir Kagan à Paola Navone. Du côté des architectes, le célèbre Frank Gehry avait lui aussi été sollicité, et ce bien avant sa Fondation Louis Vuitton à Paris. Nicolas Roche, lui-même architecte, était en quête d’un « regard différent sur le design ». De fait, il ne pouvait pas ne pas penser à Jean Nouvel. Lui qui voulait du design d’auteur savait aussi que ce n’était pas une première pour l’architecte. De ce côté-là, il était rassuré.
La rencontre s’est faite il y a deux ans lors d’un dîner, fortuitement. Plus tard, Nouvel répétera deux fois à Roche : « Je ne suis pas un designer, je suis un architecte qui fait du design. » Quelques mois plus tôt, Nouvel nous déclarait, non sans détour, la même chose : « Un architecte qui fait du design, il est designer. Moi, j’ai toujours fait du design lié à l’architecture. Mes objets sont une architecture pour l’intérieur, voire une architecture d’intérieur. Je n’ai peut-être jamais considéré que j’étais un designer dans le sens moderne du terme. Pour moi, le grand design est en général lié à des inventions technologiques, à la juste utilisation des matériaux et à la transmission de l’esprit d’une époque. Mais je trouve quand même que le design tombe de plus en plus dans le stylisme. Et ce design-là n’est pas trop de mon fait. D’ailleurs, quand je fais des meubles, ils sont plutôt intemporels. Ils sont contemporains au sens de “bien traduire l’époque”. Mais ils ne vont pas tomber en désuétude du jour au lendemain. » C’est donc dans cet état d’esprit que Roche Bobois et l’agence Jean Nouvel Design se sont réunis les premières fois. Personne n’avait de liste de produits à faire. Chacun parlait de mobilier en général et de typologies en particulier. Les choses se sont définies comme ça : chaque pièce devait être cohérente, aussi bien seule que mêlée à d’autres. « Il fallait aussi quelque chose qui fasse plaisir à notre clientèle. Il est clair pour nous que le travail d’édition, même avec une personnalité de ce calibre, n’est pas un travail d’exécution mais de collaboration. Donc, on discute », avertit tranquillement Nicolas Roche.
Vu le carnet d’adresses des fournisseurs et des fabricants de l’enseigne internationale, le plus difficile n’a pas été de trouver qui allait réaliser quoi. La table chinoise en PMMA (polyméthacrylate de méthyle, un polymère thermoplastique, tel le Plexiglas) a quand même poussé le fabricant David Lange à innover. Sa matière, teintée dans la masse, tient de la laque parfaite. Et, surprise, elle est réparable à l’infini ! On peut repolir le PMMA autant de fois qu’on veut. Quand Roche Bobois et Ernesto Mistretta, de Jean Nouvel Design, ont travaillé sur ses proportions chez David Lange à Varzy, en Bourgogne, c’est là qu’au centimètre près ils ont veillé à leur affinage. Pour la chaise longue, chez ATL Group, à Forlì, en Italie, il y avait foule. Pour en régler l’inclinaison, les chaises longues sont en général équipées de ressorts et de pistons, habituellement cachés. Pas pour Jean Nouvel. Pourquoi ne pas rendre visible ce mécanisme, qu’il a redessiné en pensant aux sculptures de Calder ? Une première dans le monde des TPR (tête et pied relevables). « Intégrer ce nouveau mouvement était très intéressant », commente Nicolas Roche. Il possède la fonction sans la lourdeur.
Jean Nouvel nous disait qu’il ne déléguait rien ? Nicolas Roche confirme qu’aucun des concepts de l’architecte ne sort de son agence sans sa validation. Et cela passe beaucoup par des mots. « Il n’est pas styliste, sa recherche d’épure tient plutôt de la quête d’essentiel », ajoute Nicolas Roche. Avant lui, Nouvel nous avouait avec un soupçon d’ambivalence : « On n’est pas obligé d’inventer à chaque fois une nouvelle typologie. Et, en même temps, c’est ce qu’on cherche quand même, souvent. On cherche aussi à utiliser tout le potentiel du moment de la construction de meuble. Techniques, juste prix, dimensions, c’est chaque fois un travail sur la tension et la mise en évidence des qualités de certains matériaux. Tout cela dans une simplicité que j’appellerais “élémentarité” parce qu’elle n’a rien à voir avec le minimalisme. Il faut que cela tombe d’évidence. » À voir cette année en vitrine.
VIDEO : Making-of du reportage dans les usines Roche Bobois