Un patrimoine architectural en partie préservé
Cet héritage millénaire se manifeste particulièrement à Yuexiu, éternelle colonne vertébrale du grand port fluvial et maritime. Depuis quatre ans, il est interdit d’y élever des immeubles de plus de 30 mètres de hauteur. Même chose à Liwan, autre district patrimonial. Et chacun de constater, soulagé, un recentrage sur la rénovation de ces quartiers anciens. Certes, l’historique « Yuexiu a subi quelques dommages, mais, souligne Pierre Martin, attaché économique au consulat de France, Canton est l’une des rares villes de Chine ayant du cachet et où l’on a le sentiment de pouvoir vivre agréablement. Il existe d’authentiques quartiers habités sans compartimentation, auxquels les petits commerces donnent de la densité. »
Ce district conserve ainsi ses corridors d’arcades sous les qilou, des maisons des années 30 de style Europe de l’Ouest. De forme carrée, richement décorées, ornées de balustres et de fenêtres à petits carreaux, elles incarnent le statut des premiers occupants. À l’intérieur, un schéma immuable : le magasin sur rue, le stock au premier étage et l’appartement sous le toit. D’invisibles canaux recouverts depuis des lustres expliquent la sinuosité des ruelles de Yuexiu, où l’on arpente un charivari de marchés de jade, d’étranges pharmacopées et de cuisines de rue jusque dans les cours, où s’invitent les pesantes ramures des camphriers.
Posée au centre, la cathédrale néogothique du Sacré-Cœur (érigée en granit en 1863) mène au Bund, modélisé sur celui de Shanghai, une ancienne rive boueuse aujourd’hui très construite. S’y alignent d’illustres immeubles : des constructions de style néogothique également, comme l’Aiqun Hotel (datant de 1937 et signé Chen Rongzhi et Li Bingyuan) et le Nanfang Dasha Hotel (construit par un inconnu en 1922, en béton armé avec des jardins en terrasses). Sans oublier la Big Clock Tower (édifiée en 1915 par l’architecte britannique David Dick), de style néoclassique, qui a longtemps abrité les services des douanes chinois.
L’arrondissement de Liwan conserve son impertinence dans sa morgue impériale. On y découvre de fabuleuses maisons bourgeoises fermées depuis la Révolution culturelle, des ponts de marbre blanc, des étangs et des canaux exhumés en 2010, ainsi que ce grain de beauté exotique qu’est le marché Qingping.
En plus, Liwan abrite l’île de Shamian, un ancien territoire colonial partagé entre la France et l’Angleterre. En une centaine de manoirs à colonnades, des consulats, une poste française et des banques victoriennes, on feuillette un temps embaumé dans son opulence fanée. Les salles de bal ont été subdivisées sous Mao pour des familles qui vivent toujours dans cette gloire parsemée de jardins un peu fous. On explore par ailleurs les contours sépia du confidentiel district de Dong Fu, figé dans les années 30. En soit remerciée la Révolution, qui y a logé au calme sa classe militaire dirigeante, lui octroyant de nobles demeures où, stupéfaction, pas un bow-window ne manque, ni une allée parfumée de magnolias, ni un canal à ciel ouvert bien entretenu. Indéniablement, le kaléidoscope architectural, dans son ébouriffant écrin de jade, participe au charme « Lingnan » de Canton, qui mérite, c’est certain, mieux qu’une simple escale…