Néanmoins, la ville se montre cool et conviviale. Elle s’étend sur une surface de 7 500 km2 pour 14 millions d’habitants – à côté, Paris est une naine de 105,4 km2 pour 2,2 millions d’habitants. Tout du long défilent 80 kilomètres de fleuve et des siècles d’architecture, jusqu’aux derniers avatars de notre civilisation. Car, avec un PIB du niveau de celui de la grande rivale du Nord, Shanghai, la capitale du Sud se permet une certaine autonomie financière pour ses propres projets. « Que les promoteurs continuent d’ériger des tours sur des pastilles de terrain réduites, donc moins coûteuses, ne l’empêche pas de demeurer verdoyante. Mais, il y a trente ans, son visage était plus homogène », rappelle Li Sheng, directeur de l’antenne locale du cabinet d’architecture français AAUPC (fondé par Patrick Chavannes, qui a développé ses premiers projets en Chine en 2003, puis ouvert son agence locale en 2008). En effet, en dix ans, la ville et sa population ont été éparpillées façon jeu de mikado. Désormais, l’urgence est à la maîtrise de ces transformations que l’on prétend fondées sur l’esprit de l’école de Lingnan – un mouvement culturel développé par un groupe de peintres de la province du Guangdong au début du XXe siècle, ouvert aux influences étrangères –, une excuse facile pour nommer ce bric-à-brac contemporain.
En premier lieu, la rive sud du fleuve, où s’établit le centre historique, a vu éclore dans les années 80 des résidences de neuf étages sans ascenseur où, du coup, plus personne ne veut habiter. Puis sont apparus les 63 niveaux – vertigineux il y a vingt-cinq ans – du Guangdong International Building, ancien centre des finances qui abrite aujourd’hui le consulat français. Mais ça, c’était hier.
Sous la pression des Jeux d’Asie, en 2010, la ville a franchi la rivière des Perles et construit, en un an, stades et villages à l’intention des sportifs sur la rive nord. Sur ce même bord, entre 2010 et 2013, le quartier financier de Zhujiang Xincheng a aussi surgi sur 6,4 km2 autour d’un parc de 40 hectares. Un lac format miroir de poche reflète la noirceur intimidante du Guangzhou International Finance Center (qui culmine à 438 mètres), érigé par les architectes britanniques de Wilkinson Eyre, ainsi que le verre fumé de gratte-ciel plus hauts que les nuages et de résidences de luxe.
Zhujiang s’approprie aussi la culture dans un méli-mélo propre à brosser l’ego de ses concepteurs : cela se traduit par un opéra à l’allure d’avion furtif noir signé Zaha Hadid, par un lombric de bois pris dans une résille métallique conçu par Steffian Bradley Architects (États-Unis) où loge le Children’s Activity Center, par une bibliothèque en forme d’empilement de livres des Japonais de Nikken Sekkei et par le bloc rouge et noir du Guangdong Museum livré par Rocco Design Architects.
Ou encore par les 600 mètres hyperboloïdes de la Guangzhou TV Astronomical and Sightseeing Tower, ou simplement Canton Tower, vrille blanche cuirassée d’une armure de lumières la nuit, inventée par les Néerlandais Mark Hemel et Barbara Kuit, qui offre, à 455 mètres du sol, un observatoire devenu le manège le plus haut du monde avec sa noria de nacelles orange envahies de passionnés de selfies : le Bubble Tram.