Car le quartier, même s’il érige de riches immeubles sans âme à la pelle, aime se remémorer ses racines ouvrières, cultivant une esthétique indus’ et néorustique qui lui est propre. Evan et Oliver Haslegrave, deux frères à la tête de Home Studios, l’une des agences d’architecture d’intérieur les plus courues de Brooklyn, ne sont pas étrangers à cette identité visuelle. En 2009, ils habillaient un piano-bar – le Manhattan Inn, au nord de Williamsburg – à la manière d’un saloon suranné : un galop d’essai qui emballa tout le quartier.
« Notre approche de la décoration se base sur les matériaux, avec un vrai faible pour la customisation, détaillent les deux barbus chevelus. Nous utilisons beaucoup la pierre, le cuir, l’acier, mais aussi des planches de bois de récup’ et de vieux miroirs. » Aujourd’hui, de la belle trattoria Barano au cinéma-bar-club Syndicated, on ne compte plus les lieux sophistiqués qui portent leur patte rétro. Au risque, eu égard au nombre de leurs plagiaires, d’uniformiser tout Brooklyn, voire toutes les métropoles du monde ?
Car rien ne semble stopper la mue du borough. Au nord de Williamsburg, les usines de Greenpoint ont achevé de se transformer en lofts inabordables. À l’est, Bushwick et ses entrepôts tournent à l’heure de l’art, trustés par les plasticiens de chez Signal ou de la galerie Luhring Augustine, tandis que la friche Hittleman, une ancienne brasserie, rugit d’électro pour noctambules.
Hors de ses zones pauvres et communautaires, Brooklyn ne serait-elle qu’une jouisseuse ? Ce serait méconnaître les petites révolutions qui se trament à Industry City ou Navy Yard City, deux anciens complexes bordant les flots, où bourgeonnent désormais des artisans-designers, de petites distilleries, des start-up, toute une économie ultradynamique où l’entreprise et la créativité se réinventent. On y repère aussi de jolis food trucks et des pop-up bars, persiflent certains, mais qu’importe : Brooklyn, laboratoire social, dépassera toujours d’une tête les clichés qu’on lui prête.