Biographie : Dans la tête de Jean-Michel Frank (1895-1941)

Ne pas écouter les blasés qui vous diront : « Encore un livre sur Jean-Michel Frank… » Parce que s’il y a déjà eu de très bons livres sur le décorateur le plus chic de l’entre deux guerres, « Jean-Michel Frank, le chercheur de silence » de Laurence Benaïm (Grasset) est excellent.

Jean-Michel Frank est un sujet délicat. Sa vie est un roman. Son adolescence a même inspiré Silbermann, le livre de son ami d’enfance, l’écrivain Jacques de Lacretelle. Le piège avec Frank, c’est de façonner un chromo biographique. C’est là où Laurence Benaïm se distingue. Journaliste, auteure, et éditrice du magazine de mode Stiletto, elle ne parle jamais, autrement qu’à sa manière, même s‘il s’agit d’une d’une star archiconnue.

Jean-Michel Frank en 1935.
Jean-Michel Frank en 1935. DR

Frank, c’est l’inverse. Adulé de quelques cercles de collectionneurs, il reste méconnu. Avec cette biographie, on a l’impression de lire une encyclopédie qui aurait le ton d’un livre d’auteur. Très journalistiques, ses pages bruissent d’informations. Mais dans la langue aux images savantes qu’à forgée Laurence Benaïm au point d’en faire sa signature. Les images originales foisonnent, décrites sur un ton rapide.

Fauteuil club Confortable de Jean-Michel Frank réédité par Hermès.
Fauteuil club Confortable de Jean-Michel Frank réédité par Hermès. © Hermès

Le lecteur entre dans le milieu, l’époque, la vie et la tête de Frank. L’univers esthétique du décorateur se donne à voir, avec ses espaces à demi-vides, sa blancheur du plâtre des années de guerre, son sens de l’épure et cet air de scène d’un petit théâtre désert. Comme un couturier, Frank à sa muse. Cette élégante Chilienne, Eugenia Errazuriz, va faire de lui le pionnier du minimalisme. Rien de clinique, plutôt des ambiances éclairées par le plissé soleil des plateaux en marqueterie de paille de ses tables basses et paravents.

Paravent en marqueterie de paille de seigle réédité par Hermès.
Paravent en marqueterie de paille de seigle réédité par Hermès. © Hermès

Le livre ne parle pas que de style. Il dit l’époque, celle d’un Paris qui pétille dans un climat âpre. On apprend beaucoup de la psyché de Frank, mais sans voyeurisme. L’évocation de son côté nerveux, habitué aux stupéfiants ? Tout cela forme un tout dans une histoire qui comporte aussi un aspect politique. En exil au Etats-Unis, Frank, déprimé, finit par se suicider en 1941…

Meuble à secrets en marqueterie de paille (Hermès).
Meuble à secrets en marqueterie de paille (Hermès). © Hermès

L’auteure s’est nourrie de sources autorisées qu’elle tente de restituer. Laurence Benaïm l’a fait dans sa biographie d’Yves Saint Laurent au-delà de ce que le couturier et Pierre Bergé pouvaient imaginer. Scrupuleuse, elle veut tout dire sans le coté hagiographique ni trop lisse des biographies américaines. Il faut dire que le monde de Jean-Michel Frank, ce n’est pas que trois arrondissements. C’est aussi le fauteuil Confortable qu’Hermès a réédité. C’est surtout un monde qui vibre au cœur d’une certaine époque, comme dans un faisceau artistique éblouissant. Il s’éclate autant qu’il peut alors que les nuages noirs de l’histoire se pressent à l’horizon…

« Jean-Michel Frank, le chercheur de silence » de Laurence Benaïm, Grasset, 228 pages, 24 €.

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