Alors que Sarah Herda et Joseph Grima, les curateurs qui ont créé la biennale en 2015, étaient des penseurs de l’architecture, Sharon Johnston et Mark Lee (@johnstonmarklee), curateurs de la biennale 2017-2018 sont architectes. Leur édition, moins axée sur la théorie, s’est donc recentrée sur la construction. IDEAT fait le bilan en 5 points.
1/ ARTchitecture
L’art contemporain et la photographie sont à la fois des sources d’inspiration et des outils de recherche pour les architectes. L’artiste Thomas Demand puise ainsi dans l’iconographie architecturale pour créer des maquettes en carton afin de composer un nouvel univers, puis de le photographier avant de détruire ses maquettes. Sa longue collaboration avec l’agence Caruso St John (qui représentera la Grande-Bretagne à la prochaine Biennale de Venise) a donné lieu pour cette édition à une installation qui mêle des maquettes de projets signés Caruso St John à des photographies de réalisations à Londres, Zurich et Lille, signées Hélène Binet, une pointure de la discipline.
2/ Une histoire de l’architecture
Les deux curateurs l’ont expliqué, cette biennale constituait un aller-retour entre le présent et notre compréhension du passé. Une indication reprise littéralement par l’architecte Marshall Brown (auteur d’un des douze projets retenus pour le pavillon des États-Unis à la Biennale de Venise), qui exposait sur les murs du Chicago Cultural Center une série de collages de bâtiments du passé.
Moins conceptuelle et compréhensible à plusieurs niveaux, l’exposition « Horizontal City » revisitait l’architecture d’intérieur à travers de petits dioramas (reconstitutions de scènes en volume). Parmi les icônes inspirantes du passé, UrbanLab s’appuyait sur la célèbre proposition de « monument infini » de l’agence Superstudio (créée dans les années 70 en Italie) pour exposer sa propre vision de la maison infinie. D’autres architectes ont repris comme modèles à exploiter le Panthéon romain, l’American Bar d’Adolf Loos (Vienne, 1908) ou l’hôtel particulier d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé.
3/ Maquettes XXL
Puisqu’il est compliqué de parler d’architecture sans montrer des maquettes, place leur est donnée dans les salles du Chicago Cultural Center, notamment dans le hall Yates, où ont poussé seize modèles XXL. Le brief était simple : réinventer l’iconique tour du Chicago Tribune. À l’époque du projet de ce gratte-ciel érigée en 1925, les maquettes des participants au concours avaient été exposées ensemble dans plusieurs villes des États-Unis. C’est cette idée de « collection » qu’a reprise le duo Johnston-Marklee.
Parmi les maquettes géantes, on reconnaissait la tour de Babel du Burkinabé Kéré Architecture ou l’empilement touffu de la Mexicaine Tatiana Bilbao. Plus technique et néanmoins didactique, l’exposition « Sky’s the Limit: The Engineering of Architecture » : SOM, grande société d’architecture et d’ingénierie, a investi un espace vide des faubourgs de la ville pour y présenter, par ordre de grandeur, une trentaine de maquettes de ses réalisations, parmi lesquelles l’iconique Burj Khalifa de Dubai.
4/ Biennale de Chicago, archiphotogénique
La photo d’architecture affole régulièrement le monde de l’art et, à son tour, la biennale succombe à cette tendance. Les clichés étaient nombreux dans les salles du Chicago Cultural Center et racontaient tous une histoire subjective de l’architecture. Le regard le plus étonnant était sans doute celui de Marianne Mueller, dont le travail consiste à recontextualiser des éléments piochés dans le quotidien.
Filip Dujardin proposait, lui, des plans resserrés de gratte-ciel mitoyens érigés à des époques différentes. Mais la palme de l’émotion revient au travail d’Amanda Williams. Exposées au Museum of Contemporary Art Chicago, ses images représentent des maisons promises à la démolition qu’elle peint avec des couleurs vives avant de les photographier. Un moyen d’attirer l’attention sur l’histoire architecturale des quartiers populaires de la ville, bien souvient négligés.
5/ Archi-onirique
Make New History est le nom d’une œuvre d’Ed Ruscha qui a servi de base-line à la seconde biennale d’architecture de Chicago. Pas surprenant alors que l’art fasse partie intégrante de cette manifestation et porte un regard onirique sur la discipline. La danse, par exemple, que l’on retrouvait dans la Farnsworth House, où deux danseuses investissaient de leurs larges mouvements la maison en verre de Ludwig Mies van der Rohe.
Dans la serre municipale du Garfield Park, les architectes de SO-IL ont collaboré avec la chorégraphe Ana Prvacki pour le mini-ballet L’Air pour l’air. C’est un autre ballet, celui des skateurs, qui est matérialisé par les œuvres de Raphaël Zarka. L’artiste français a posé ses micro-architectures au DuSable Museum, une ancienne écurie du XIXe siècle, où il exposait, dans le cadre du programme hors les murs du palais de Tokyo, ses sculptures en bois aux formes inspirées des modules de skateboard.
Une vision tout aussi poétique a animé le projet de David Harrt. L’artiste s’est envolé pour Porto Rico, à la recherche des derniers éléments modernistes en béton que Moshe Safdie a voulu introduire en 1968 dans l’architecture du pays. Le résultat se présentait sous forme d’une déambulation entre photos, sons et plantes vertes à travers les deux étages de la Graham Foundation. Dans la même veine, le duo d’architectes chiliens de Pezo von Ellrichshausen a accroché 729 aquarelles de petit format représentant chacune un archétype de construction, un travail basé sur une démarche minutieuse et mathématique. Beaucoup plus direct : le lien entre l’art et l’architecture expliqué par SOM.
Ces ingénieurs et architectes conçoivent depuis leurs débuts les projets imaginés par de nombreux artistes (Picasso et sa sculpture monumentale sans titre en acier, la Lever House d’Isamu Noguchi, de nombreuses sculptures d’Alexander Calder ou de James Turrell). On découvrait ici tous les croquis et les maquettes exécutés à grande échelle grâce aux recherches de cette agence de Chicago. L’exposition matérialisait l’idée qu’ingénieurs, architectes et artistes peuvent construire ensemble des œuvres hybrides et que l’architecture se frotte volontiers aux autres disciplines.