Nous la retrouvons aujourd’hui « cocuratrice » d’Audemars Piguet Contemporary, un programme de mécénat de la manufacture horlogère suisse qui débouche sur des créations singulières à Paris, New York ou Venise. Audrey Teichmann a accepté de répondre à quelques unes de nos questions.
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IDEAT : En quoi consiste votre travail pour Audemars Piguet Contemporary?
Audrey Teichmann : Au sein de ce programme, dont Denis Pernet et moi-même sommes « cocurateurs », nous effectuons une approche prospective – de nombreuses visites de studios notamment –, qui est assez similaire à ce que l’on ferait pour un musée. Nous identifions chaque année deux ou trois artistes – que nous suivons parfois depuis des années –, dont la pratique est basée sur la recherche et pour lesquels nous considérons que le soutien financier, « curatorial » ou technique d’Audemars Piguet Contemporary a du sens à ce moment précis de leur parcours.
Nous croyons sincèrement au processus collaboratif et œuvrons aussi avec d’autres curateurs, afin d’élargir notre vision. En 2022, Denis et moi avons eu la chance de travailler sur deux projets avec Cecilia Alemani (commissaire de la 59e Biennale d’art de Venise et de High Line Art, à New York, NDLR) et d’accompagner Encyclopedia of Relations, d’Alexandra Pirici, seule performance invitée en tant que projet spécial de la dernière Biennale de Venise, ainsi que Windy, première sculpture publique de Meriem Bennani, installée sur la High Line à New York.
IDEAT : Un pur programme de mécénat donc ?
Audrey Teichmann : Oui, il est totalement dénué de lien avec l’horlogerie – et a fêté ses 10 ans en 2022. Même s’il existe une parenté entre la créativité et les notions d’innovation et d’avant-garde propres à l’horlogerie et celles que l’on peut trouver dans l’art contemporain, nous avons la volonté de mettre l’accent sur l’artiste.
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Car nous sommes convaincus que la carte blanche est le seul moyen d’être légitime pour un programme d’art contemporain. Il est important de préciser que les projets commissionnés par le programme ne nous appartiennent pas, ils restent intégralement la propriété de leur créateur.
IDEAT : Qu’est-ce qui est déterminant dans le choix des artistes ?
Audrey Teichmann : La diversité. Notre programmation nous permet de soutenir des recherches et pratiques très variées : photographie, vidéo et installations – ces dernières réunissant généralement plusieurs médiums. L’expérience qu’aura le public de l’œuvre et du sujet mobilisés par l’artiste est également essentielle.
Nos expositions ont toujours un impact immédiat par le biais de l’émotion ou du corporel. Nous accompagnons ce processus de compréhension via la médiation, car il nous tient à cœur de résoudre le paradoxe qui oppose trop souvent exigence artistique et accessibilité.
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IDEAT : Vous faites le choix de sites d’exposition peu conventionnels. Cela renforce-t-il l’effet des œuvres ?
Audrey Teichmann : L’expérience des visiteurs étant essentielle, c’est autant le projet et son dispositif qui déterminent le lieu que l’inverse. À Paris, à l’Espace Niemeyer, dans le bâtiment iconique construit par l’architecte brésilien pour abriter le siège du parti communiste, l’installation d’Andreas Angelidakis (constituée notamment de ruines souples en mousse, l’une de ses signatures, NDLR) invitait le public à s’approprier l’espace, remettant en cause l’idée traditionnelle selon laquelle les œuvres d’art ne peuvent être touchées.
À New York, la sculpture Windy, de Meriem Bennani, a été disposée sur la High Line, car durant la pandémie, nous nous sommes rendu compte que c’était l’un des seuls lieux accessibles proposant de l’art contemporain. La question du contexte public urbain nous tient à cœur. Meriem Bennani est une artiste qui développe beaucoup de vidéos ainsi que des zones assises dans lesquelles s’installer pour les voir.
Mais Windy, nouvelle direction dans son travail et traduction physique du mouvement qui est au cœur de sa pratique, est aussi une réponse contextuelle à un lieu. D’emblée, Meriem nous a en effet précisé qu’elle ne pouvait pas imaginer une sculpture statique là où passent plus de 8 millions de visiteurs par an. D’où cette tornade en perpétuelle activité, parfaitement autonome avec ses 200 disques de mousse actionnés par des moteurs de vélos électriques, visible par tous jusqu’en mai.
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