C’est un drôle d’objet, un casse-tête sculptural argenté, comme un enchevêtrement d’angles droits, qui trône sur un piano entre une enceinte, une plante verte, des pinceaux, une carte postale « Just Do It » et un trophée doré. Bienvenue dans l’antre de Mathias Kiss, cachée dans une impasse d’un quartier du nord-est parisien.
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Mathias Kiss mouille le maillot
C’est ici que l’artiste peint, dessine, expose… et vit. Ici aussi qu’il a imaginé ses deux nouvelles créations, la collection d’objets « Perspectives » pour Christofle et les trophées de la Ligue 1 et de la Ligue 2 de football. Deux projets a priori opposés, mais qui résument parfaitement l’univers éclectique de cet artiste, habitué à lier luxe et culture populaire. Le créateur est surtout un formidable agrégateur de l’air du temps, qu’il lie à son parcours, démarré loin, très loin du microcosme parisien.

Lorsque Christofle l’a contacté, il a eu envie de faire à nouveau parler les moulures, une typologie qu’il maîtrise et qu’il a plaisir à faire « smurfer », selon ses mots, zigzaguer, recomposer et libérer pour créer des chandeliers, des vases et autres candélabres. Il a imaginé six pièces à utiliser seules ou à combiner librement, invitant les corniches à s’extraire des murs et des plafonds auxquels elles ont été collées pendant des siècles, à les faire passer de la 2D à la 3D. « Pour cette collection, j’ai agi dans la lignée du Compagnon que j’étais adolescent. Une fois de plus, je suis sorti du cadre, je me suis libéré des dogmes qu’on nous inflige depuis toujours. »
Un sillon qu’il creuse depuis des années avec ses miroirs éclatés qui semblent exploser ou avec ses ciels pixellisés… Comme à son habitude, l’artiste a dessiné et fabriqué de petites maquettes. Puis, fait rare, il a fait modéliser et imprimer en 3D ses prototypes passés à la feuille d’argent avant de les transmettre à l’orfèvre, qui les a développés en aluminium.

Mais si l’objet est usuel, ne dites pas à Mathias Kiss qu’il est designer ! « Pour dessiner ces bougeoirs, je ne suis pas parti de la fonction. Mon idée, c’était plutôt une sculpture dans laquelle j’ai fait un trou », s’amuse-t-il en regardant « Perspectives », qu’il a déclinée en « tranche » de corniche, en mini-bougeoir monolithique, en vase en verre facetté posé sur un pied en aluminium ou en candélabre imaginé comme une frise accueillant deux bougies – idéale pour créer à l’infini un chemin de table.
Une percée dans l’imaginaire
Mais LE projet de sa vie, comme le nomme Mathias Kiss, c’est le trophée qu’il vient également de dessiner. « Il est tellement en accord avec mon parcours de banlieusard, et puis il parle à mes mômes, aux copains de mes mômes, à la France entière, que j’ai représentée par le socle de l’objet. » Un pied solide, qu’il a voulu imposant.

Pour cet amateur et pratiquant de boxe thaï, réaliser cette coupe que soulèveront les vainqueurs de la Ligue 1 et de la Ligue 2 de football à la fin de cette saison pour la première fois prend un sens particulier. « Je n’avais aucune perspective de briller à l’école quand j’étais jeune, mon rêve était d’être reconnu à travers le sport. Ma seule référence philosophique c’est Rocky Balboa… »
Alors lorsqu’il s’est attelé à la lecture du brief, il s’est immédiatement reconnu dans cet objet, qui devait incarner « à la fois une dimension patrimoniale et l’arrogance à la française. J’ai voulu dessiner une évidence, qu’on ait l’impression de voir une pièce existante depuis toujours. Je voulais qu’elle soit visible de loin, que l’on puisse la tenir à plusieurs, qu’elle sente la “win”. Il y a un côté hip-hop et design graphique dans cet objet », explique celui qui succède à Andrée Putman et à Pablo Reinoso, les prestigieux créateurs des deux derniers modèles. « En fait, ce dont je suis particulièrement fier, c’est la reconnaissance que sont mes sorties du cadre avec ces commandes », concède le créateur.

Au sous-sol, le voyage dans l’imaginaire de l’artiste se poursuit. Il a créé un white cube dans lequel il expose ses dernières œuvres, « comme un autoportrait de l’époque », où se côtoient un fauteuil en aluminium « déjà rouillé », un cadre emberlificoté en 3D dans lequel il est impossible d’insérer une quelconque peinture, un immense tableau noir à la silhouette de cheminée brûlée qui semble dégouliner, « symbole du foyer familial qui n’existe plus », ou un miroir sur lequel il est inscrit « Watch You Burn » (« Regarde-toi brûler »), une œuvre prémonitoire des incendies de Los Angeles…
« Je ne dénonce rien mais je ne peux pas faire comme si cela n’existait pas. En fait, mon idée est de dire que l’on regarde tous un monde fake idyllique », prévient l’artiste, dont le travail est accompagné d’une bande-son hypnotique du musicien Nicolas Godin (du duo Air), qui renforce la vision immersive de Mathias Kiss… Un espace qui redeviendra salle d’entraînement de boxe à la fin de l’exposition. Revenir aux fondamentaux, toujours…
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