« Ici, on loge à cheval, à pied ou en peinture », clamait en 1931 l’enseigne de La Colombe d’Or, petit hôtel de Provence qui échange le gîte et le couvert contre des aquarelles et des huiles sur toile. Miró, Braque, Chagall, puis Calder et César se prêtent au jeu. L’« art hotel » est né ! Au-delà de la simple déco, les œuvres donnent une identité au lieu, cette patine unique pour laquelle de nombreux hôteliers sont aujourd’hui prêts à dépenser –presque– sans compter. L’introduction de l’art dans un hôtel débute souvent par une histoire personnelle. Au domaine Château La Coste, près d’Aix-en-Provence, le propriétaire irlandais Paddy McKillen a transformé ses vignobles en chemin initiatique dont les sculptures monumentales mènent jusqu’aux chambres. Une araignée géante de Louise Bourgeois garde jalousement l’entrée du centre d’art signé Tadao Ando. Ici, la collection est née avant l’hôtel, qui s’est construit autour d’un patrimoine à faire pâlir les directeurs des plus grands musées.
Hiroshi Sugimoto, Richard Serra, Alexander Calder, Sean Scully… Le parcours s’étend désormais au rythme d’une nouvelle œuvre par an, les noms illustres poussant comme du lierre sur l’ensemble du domaine. La salle de concert en plein air est signée Frank Gehry et la récolte viticole est traitée dans des chais conçus par Jean Nouvel. Dernier bijou en date, la chambre 30 propose de dormir dans une maison démontable 6×6 de Jean Prouvé, conçue en 1944 et adaptée en 2015 par Richard Rogers à la demande du galeriste Patrick Seguin. L’hôtel possède aussi un espace d’exposition dessiné par Jean-Michel Wilmotte. Ai Weiwei, Yoshitomo Nara ou encore Jean-Michel Basquiat y ont déjà eu leur rétrospective. Le lieu présentera cet été des toiles grand format de l’artiste américaine Pat Steir, en partenariat avec la galerie Lévy Gorvy.
À Zichron Ya’acov, en Israël, c’est la philanthrope Lily Elstein qui est à l’origine de l’Elma Arts Complex Luxury Hotel. Dix ans de rénovation ont été nécessaires pour restaurer le chef-d’œuvre brutaliste de Yaakov Rechter et donner vie à l’immense centre culturel inauguré en 2016. Aux murs et dans les patios, l’ancien sanatorium est aujourd’hui parsemé de pièces de Sigalit Landau et de Tracey Emin, qui se fondent dans un décor résolument contemporain. Près du restaurant, trois espaces d’exposition temporaire, ouverts au public, proposent d’acquérir le travail de jeunes artistes. Pour les amateurs de musique classique, la salle d’opéra modulable de 450 places, avec son orgue de 1440 tuyaux importé d’Allemagne, affiche un programme de haut vol à longueur d’année. « J’ai mené une vie incroyable, mais tout le monde autour de moi n’a pas eu cette chance. Mon devoir de mémoire est d’être dans la reconnaissance et le partage », nous a soufflé Lily Elstein depuis l’immense terrasse de son hôtel, le visage rosi par le coucher de soleil sur la Méditerranée.
La nouvelle vague
Du mécénat artistique à l’empilage frénétique façon Salon des artistes français (fourre-tout convenu des XVIIIe et XIXe siècles), il n’y a qu’un pas que certains établissements ont franchi avec plus ou moins d’aisance. Lueur d’espoir, au-delà d’une association purement commerciale, une nouvelle vague d’hôteliers ose des collaborations sous forme de cartes blanches avec le marché de l’art. Après une série de projets temporaires à l’hôtel The St.Régis de Rome, la Galleria Continua vient d’annoncer son installation dans le palace de manière pérenne. Au-delà du modèle classique qui consiste à exposer des œuvres à vendre, la galerie organise de nombreuses activités et programmes éducatifs pour les clients amateurs en herbe et les écoles locales. « Notre but est de proposer des expériences cognitives à un jeune public et de les rapprocher de l’art contemporain en leur offrant des clés d’interprétation », déclarent en cœur Mario Cristiani, Lorenzo Fiaschi et Maurizio Rigillo, ses fondateurs.
Une résidence d’artistes a également été établie par un comité d’experts, qui nomme un lauréat tous les six mois parmi une liste de jeunes talents venus de pays émergents et dont le travail est ensuite montré sur place. Le choix de José Yaque pour inaugurer le nouvel espace marque l’intérêt de la galerie pour une approche pluriculturelle, en accord avec les préoccupations artistiques contemporaines. Le Cubain, présenté à la Biennale de Venise en 2017 et au Centquatre, à Paris, propose à Rome une variante de sa série « Tumba Abierta » (« tombe ouverte » en espagnol). Il la décrit comme une « archive vivante d’éléments naturels » – plantes, feuilles, graines et fruits préservés dans des centaines de flacons – qui prend des airs d’étagère d’apothicaire qu’il serait mal aisé d’emporter dans sa valise comme un vulgaire souvenir.
Fait encore rare, mais qui devrait donner des idées à la concurrence, la galerie Hauser&Wirth a ouvert l’année dernière son propre gîte de luxe. Situé dans le nord de l’Écosse, au cœur du parc national de Cairngorms, The Fife Arms est un havre de paix où l’on vient pour se déconnecter du monde devant un bon feu de cheminée, admirer quelques-uns des 14 000 objets d’art du domaine, voire faire monter la cote des derniers artistes à la mode, en résidence sur place.