Qu’est-ce qu’être jeune et noir, aujourd’hui ? À cette question éminemment politique, Kehinde Wiley (né en 1977 à Los Angeles) apporte une réponse artistique, parcourant le monde pour donner corps à celui que l’écrivain Ralph Ellison nommait, en 1952, l’« homme invisible », ces hommes dits « de couleur » absents de tous les récits historiques et culturels. C’est ainsi que, depuis 2006, Wiley organise des castings de rue, dans les ghettos de Brooklyn, à New York, ou d’ailleurs, choisissant ceux et celles qui incarneront ses personnages sur le modèle des aristocrates européens immortalisés par les maîtres anciens. Judicieusement, il réinterprète les canons de l’histoire de l’art et casse les codes de la représentation de ces éternels anonymes, dont l’image est souvent réduite à des stéréotypes (l’esclave, le serviteur…).
Remplacer des icônes par les gens de la rue
Ces personnages portent des baskets, des sweats à capuche, des jeans ou des casquettes de base-ball – autant d’attributs généralement associés à la culture hip-hop – et trônent devant des décors qui trahissent la grandiloquence des symboles de la domination masculine occidentale. Comme son « Williams », vêtu d’une tenue de camouflage et la tête entourée d’un bandana, montant avec panache un cheval qui se cabre, à l’image du Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, représentant Bonaparte peint par Jacques-Louis David entre 1801 et 1805.
En remplaçant les icônes du pouvoir par les gens de la rue, Kehinde Wiley délivre un message de respect et de tolérance. L’ancien président Barack Obama ne s’y est d’ailleurs pas trompé en lui confiant en 2018 la réalisation de son portrait officiel destiné à la National Portrait Gallery de Washington, le panthéon des grandes figures de l’histoire américaine.
> « Kehinde Wiley, peintre de l’épopée ». Au Centre d’art La Malmaison, à Cannes (06), jusqu’au 1er novembre. Cannes.com