C’est un pavé dans la mare souvent paisible et compassée des étoilés Michelin. Depuis mars 2014, Sergio Herman, un chef flamand renommé, et son attentif second Nick Bril travaillent de concert dans la chapelle d’un ancien hôpital militaire. Un espace aussi spectaculaire qu’iconoclaste où ils peuvent célébrer les rituels d’usage dans la gastronomie sans pour autant renoncer à leurs instincts païens de fans de rock et de tatouages. Quelle meilleure idée qu’une religieuse défroquée pour bluffer une clientèle agnostique, pour ne pas dire blasée ? Imaginez une nef de cinquante mètres de long scandée de hauts vitraux, de la brique abîmée, un froid de gueux et l’écho du moindre son amplifié par la voûte. Pas de quoi en faire une grand’messe culinaire, office mis à part, et pourtant…. Ce pari peu orthodoxe et carrément en dehors des clous ne fut pas pour déplaire à ces deux cuisiniers téméraires.
« Pour moi, un repas va bien au-delà de mets extraordinaires… Le cadre tout entier occupe la même importance dans l’expérience que l’on fait d’un restaurant, tout le monde sait ça aujourd’hui. La cuisine n’est pas la seule à refléter notre vision ou notre sensibilité; c’est l’ensemble – du comptoir aux nappes, de la vaisselle à la corbeille à pain – qui définit un imaginaire. Chaque objet, chaque meuble, chaque process a été spécialement conçu pour The Jane. Comme a été choisi chacun des membres de l’équipe. Cela demande du temps… », répond Herman quand on le questionne sur les trois ans de travail qui ont précédé l’ouverture. Enfant chéri du design néerlandais, Piet Boon a entrepris la métamorphose en choisissant d’intervenir à hauteur de murs, laissant le reste volontairement brut dans un contraste saisissant. En bas, dans l’abside et la nef, le restaurant et ses cuisines en partie vitrées ; au-dessus, à hauteur de transept, un bar ouvert sur l’enceinte déconsacrée. Malgré la majesté du bâtiment, l’entrée est suffisamment minimaliste pour ne rien laisser deviner du choc à suivre. À peine franchi l’îlot vitré, on est happé par le volume de la salle et surtout par la suspension qui envoie ses 150 flèches tous azimuts. Aux dires de PSLAB, l’entreprise basée à Beyrouth à l’origine
de cette pièce, le montage de ces 800 kg n’a pas été une mince affaire…
Une communion oecuménique et cosmopolite
Les tables longeant les bas-côtés restent les plus intimes puisqu’elles sont dallées de parois textiles qui fonctionnent comme des pièges acoustiques. Les splendides vitraux, tatoués dans une veine hyper graphique, sont l’œuvre de Studio Job, duo de créateurs jamais en retard d’une facétie symbolique. Des designers de Tel Aviv ont été choisis pour les arts de la table et la coutellerie. « Mode, art et design constituent notre profession de foi, qui puise son essence dans le rock », ponctue Sergio alors qu’un serveur habillé en G-Star (une tenue sur mesure conçue pour The Jane) monte vers l’Upper Room Bar d’un pas assurément cool. Pour suivre cette communion œcuménique et cosmopolite, une énigmatique vanité signée Kendell Geers, sortie de la Walter Vanhaerents Art Collection (la galerie d’art la plus pointue de Bruxelles) a valeur d’ex-voto. Et la cuisine ? La dose de créativité diffusée au restaurant Oud Sluis (la table familiale trois-étoiles Michelin, fermée depuis) monte ici en puissance depuis deux ans. Herman et Bril sont connus pour la légèreté de leur cuisine, leurs dressages inattendus et leur sens du produit en forme de sacerdoce. Le plus compliqué reste d’obtenir une place dans leur chœur…